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vôtres qu'à mesure que vous saurez qu'ils font certainement des augmentations assez grandes pour vous jeter dans cette absolue nécessité. Vos levéės seront toujours plus promptes que les leurs. Si on vous attaque dans les Pays-Bas, attaquez alors à votre tour avec la derniere vigueur et sans ménagement. En ce cas-là, il faudra bien prendre garde de ne donner point de combat sans en tirer aussitôt le fruit pár quelque solide conquête, et sans tâcher de déshonorer le roi d'Angleterre aux yeux de tous ses alliés, en le poussant à bout après l'avoir battu. Enfin, il faut convaincre au plutôt les étrangers que nous sommes tout le contraire de ce qu'ils s'imaginent. Ils prétendent maintenant que nous sommes timides et sans vigueur, mais toujours ambitieux, ne' pouvant nous résoudre à rendre la barriere et la voulant garder pour nous, ne sachant ni faire la guerre, ni conclure une paix sincere et constante. Il faut montrer tout au contraire que nous savons, quoique très supérieurs, nous abstenir de commencer la guerre; que nous savons ôter tous les sujets d'ombrage; que nous savons décider vigoureusement l'affaire d'Italie'; et que nous ne serons pas moins redoutables dans les PaysBas, si on nous force à y attaquer nos ennemis; que nous ne céderons jamais un pouce de terre; que nous voulons tout pour l'Espagne, et rien sous aucun pré

TOME III.

B

texte pour nous. Ce parti est le plus noble, le plus propre à combler le roi de gloire, le plus juste, le plus chrétien, le plus sûr, le plus capable de mettre toutes les puissances neutres dans vos intérêts, le plus convenable pour procurer une bonne paix. Si on se laisse entamer pour des cessions de pays, on nous menera de proche en proche jusqu'aux partis les plus honteux : nous aurons perdu tout le mérite de soutenir avec vigueur et désintéressement un parti juste.

Au reste, quand j'ai parlé de donner de l'argent aux puissances neutres et d'en donner même avec profusion, je n'ai pas prétendu qu'il fallût le faire. qu'à la derniere extrémité. Je sais qu'on peut tomber de ce côté-là dans trois inconvénients terribles. 1°. İl ne sort déja que trop d'argent du royaumę; les saignées promptes épuisent bien plus que celles qui se font peu-à-peu; de l'argent envoyé en Suede, au fond de l'Allemagne, etc. ne revient pas de même comme celui de nos armées voisines de nos frontieres. 2°. Les princes qu'on paie en donnent l'exemple à d'autres qui veulent aussi être payés; faute de quoi, ils se détachent: et on ne peut les payer tous. 3°. Plus on les paie, plus ils veulent faire durer la guerre pour faire durer leurs profits; et vous demeurez ruiné. Il faut donc ne donner qu'à ceux d'entre les princes qui

décident, et qui font la loi aux autres; il ne faut leur donner que dans un grand secret; il ne faut leur donner que quand on ne peut plus les retenir par aucune autre considération d'espérance ou de crainte, enfin quand vous voyez démonstrativement qu'une grosse somme que vous donnerez achevera d'emporter si absolument la balance, que l'empereur et le roi d'Angleterre seront dans une entiere impuissance de faire la guerre, parcequ'alors vous ne donnez que pour un temps très court, et que la paix, infailliblement prochaine, finira cette dépense. J'ai oublié de dire qu'il faut tirer parti du roi d'Espagne autant qu'on pourra, et faire par lui, pour lui faire honneur, tout ce qu'il y aura de plus solide. Il faut que ce soit lui qui décide, et non pas le roi notre maître qui paroisse décider; encore même faut-il instruire tellement le roi d'Espagne, qu'il sache persuader son conseil, et lui faire adopter les résolutions par des manieres. douces, engageantes, par des bienfaits, et par des raisons d'intérêt véritable de la monarchie. Pour les réformes à faire modérément et peu-à-peu, il faut se servir toujours de l'intérêt général du peuple contre l'avidité odieuse de quelques particuliers; encore même faut-il tâcher de consoler les particuliers par quelque adoucissement.

SECOND MÉMOIRE. "

Je ne connois pas assez toute l'étendue des affaires générales pour me mêler de juger des périls et des ressources de la France, ni par conséquent pour savoir jusqu'où l'on devroit aller pour acheter la paix.

Peut-être que le changement fait dans le ministere remédiera à nos maux. Peut-être que le renouvellement des monnoies fera supprimer les billets de mon noie, et rétablira le crédit. Peut-être qu'une abondante moisson viendra, après la stérilité, faciliter la subsistance de nos troupes. Peut-être qu'un général d'armée relevera la discipline militaire, et rabaissera par quelque victoire la fierté des ennemis.

Pour juger des partis à prendre, il faudroit embrasser dans un examen général toutes les différentes parties du gouvernement, tout l'argent du royaume, toutes les dettes du roi, les causes de la chûte du crédit, les sources du commerce, l'état des revenus royaux, le nombre des peuples non nécessaire au labourage et aux arts dont on ne peut pas se passer,

(1) Ce mémoire paroît avoir été écrit vers 1710, et envoyé, ainsi que le premier et les suivants, à M. le duc de Chevreuse, pour être remis à M. le duc de Bourgogne, et le diriger dans le conseil

les moyens de faire les recrues, l'état des officiers qu'on ne paie point, celui des marchands qui leur ont prêté pour leurs troupes, le degré d'épuisement de chaque province et la disposition où les esprits y sont, l'état de chaque place de toutes nos frontieres tant pour les fortifications que pour les munitions nécessaires en cas de siege, l'état de notre marine et de nos côtes exposées à une descente, les intérêts, les ressources et les dispositions de chaque cour étran gere, enfin les forces réelles des armées ennemies, le vrai esprit de leurs généraux, et les desseins formés dans leurs conseils.

...Comme chacun de nos ministres traite en particulier avec le roi ce qui regarde sa charge, je crains qu'aucun d'eux ne soit en état de rassembler, par une vue générale qui soit juste, toutes ces diverses parties du gouvernement, pour les comparer, pour juger de leur proportion, et pour les ajuster ensemble.

Quand on bâtit une maison, quoique les maçons, les charpentiers, les plombiers, les menuisiers, les serruriers, etc. travaillent bien chacun pour son métier, le gros de l'ouvrage va mal s'il n'y a pas un homme principal qui les dirige tous à une même fin, qui ait dans sa tête les ouvrages de tous ces différents ouvriers pour les proportionner les uns aux autres, et pour en faire un tout avec justesse. Tout de

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