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riaux exigés pour les monuments qui embellirent la capitale du monde. Ce genre d'exploitation était d'ailleurs très-possible aux Romains, grâce à la multitude de leurs esclaves. Placés sur de longues files, comme les maçons que nous voyons, échelonnés les uns au-dessus des autres, se passer de main en main les pierres destinées à un édifice, les esclaves se transmettaient, de proche en proche, le tuf et la pouzzolane, qui parvenaient ainsi jusqu'à la surface du sol.

Ces excavations s'appelaient latomia, arenaria, carrières de pierre, carrières de sable. Plusieurs existaient lorsque le christianisme s'introduisit à Rome; d'autres étaient en voie d'exploitation. Parmi les dernières on compte celles des Voies Salaria, Appia, Aurelia et Nomentane '. La formation des premières nous est révélée et par la simple raison, et par le témoignage des auteurs profanes. Partout où il existe de grandes cités, les matériaux employés à la construction de ces villes durent évidemment laisser dans le voisinage des carrières plus ou moins étendues. Ainsi Naples, Syracuse, Paris en possèdent, qui sont de véritables catacombes Carthage avait aussi les siennes. Cicéron, Suétone, Vitruve, désignent les souterrains de Rome de manière à ne laisser aucun doute sur leur origine. Dans le Discours pour Cluentius, Cicéron parle d'un certain Asinius qui, attiré dans les jardins des faubourgs et entraîné

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dans des arénaires hors de la porte Esquiline, y fut secrètement égorgé . Néron, se voyant au moment d'être pris, fut engagé par Phaon à se cacher dans une arénaire : « mais, dit Suétone, il refusa de s'ensevelir ainsi tout vivant 2.» Pour désigner ces souterrains, Vitruve se sert du même terme arenaria 3

Or, continue Boldetti, les chrétiens, se tronvant poursuivis et persécutés à outrance, cherchèrent un asile dans ces vastes cavernes. Ils pourvurent ainsi à la sûreté des vivants; mais cela ne suffisait pas. Afin d'ensevelir leurs frères mis à mort pour la foi ou décédés naturellement, ils creusèrent des tombeaux dans les parois des souterrains. Que tel ait été l'usage fait par les premiers fidèles de ces anciennes carrières, la preuve en est non-seulement dans les inscriptions recueillies par le pieux et savant Severano, continuateur de Bosio, mais encore dans les Actes des martyrs. Ceux des saints Marc et Marcellin disent en termes exprès « Ils furent ensevelis sur la voie Appienne, à deux milles de Rome, au lieu appelé Ad arenas (près des arènes), parce qu'il y avait là des carrières, d'où l'on tirait du sable pour construire les

Asinius autem brevi illo tempore, quasi in hortulos iret, in arenarias quasdam extra partem Exquilinam perductus occiditur. C. XIII.

2 Ibi, hortante eodem Phaonte, ut interim in specum egestæ arenæ concideret, negavit se vivum sub terram iturum. In Ner. c. XXVIII.

3 De Architect. x1, 4.

murailles de la ville 1. » Tel est, suivant les archéologues dont j'ai parlé, l'origine des catacombes. Tous accordent néanmoins que les chrétiens ont considérablement agrandi les arénaires païennes, et même qu'à l'exception de la galerie supérieure, les cimetières sont l'ouvrage exclusif de nos pères 2.

Voici maintenant l'opinion du Père Marchi. Comme ses devanciers, il admet l'existence des arénaires et des latomies, c'est-à-dire des carrières de sable et de pierre ouvertes par les Romains antérieurement au christianisme; mais il soutient qu'elles n'ont aucun rapport avec nos catacombes; que celles-ci sont d'origine exchisivement chrétienne, aussi bien dans la galerie supérieure que dans les galeries inférieures; en un mot, que les païens n'ont donné, suivant son expression, ni un coup de pic,. ni un coup de ciseau dans les cimetières chrétiens 3.

D'abord, l'origine, moitié païenne et moitié chrétienne, des catacombes, ainsi que la desti

1

Sepulti sunt via Appia milliario secundo ab Urbe, in loco qui vocatur Ad arenas, quia cryptæ arenarum illic erant, ex quibus Urbis mœnia struebantur. — Bolland. 10 jul.

'... Da' sostenitori della opinione contraria alle cristiane origini de' nostri cimiterj si concede un esclusivo diritto e un tranquillo possesso su tutte quelle parti della Roma Sotterranea che son cavate sotto un primo piano. -Marchi, p. 35.

'Debbo innanzi tutto far palesi le ragioni, per le quali credo, che ne' nostri cimiterj il pagano non abbia dato mai un colpo nè di piccone, nè di scalpello, Id. p. 7.

nation chrétienne donnée aux arénaires ou aux latomies païennes, est une assertion qui ne repose sur aucun témoignage de l'antiquité. Or, le silence absolu des historiens de l'ancienne Rome ne paraît-il pas inexplicable? Qui ne connaît l'amour et la fidélité minutieuse avec laquelle TiteLive, Pline, Suétone, Tacite et tant d'autres, ont décrit les monuments de la capitale du monde? Les Théâtres, les Cirques, les Aqueducs, les Voies, les Égouts mêmes, rien n'a été oublié. Et nos Catacombes, la plus grande de toutes les merveilles de Rome, ils ne les ont pas décrites, ils n'en ont pas dit un seul mot! Leur silence ne devient-il pas une preuve positive qu'ils ne les connaissaient pas? Et s'ils ne les connaissaient pas, n'est-on pas en droit de conclure qu'elles n'existaient pas avant l'établissement du christianisme, et que les païens sont complétement étrangers à leur création 1?

De plus, si la grande Nécropole était l'ouvrage des païens, les inscriptions suppléeraient au silence de l'histoire, et rendraient au moins quelque témoignage de son origine: pourtant il n'en est rien.

1 Je faisais un jour cet argument à une personne qui crut le réfuter en disant: On n'a pas décrit les Catacombes de Paris. Connaissez-vous un de nos historiers qui ait décrit les routes et les égouts de la capitale ? D'ailleurs, entre les Catacombes de Paris et celles de Rome, il y a l'infini. Les premières ne sont que des carrières, les secondes sont une ville. Si le silence de Dulaure, de Mercier, etc., est une chose toute naturelle, l'omission de Pline, de Tite-Live, etc., demeure inexplicable.

Sur tant de milliers de tombes découvertes, depuis trois siècles, dans nos souterrains, on n'a pas rencontré une seule inscription dont le millésime soit antérieur à l'ère chrétienne : toutes les dates sont postérieures à la prédication de l'Évangile.

Il faut descendre jusqu'au xvI° siècle pour trouver l'origine de l'opinion qui fait de nos cimetières des arénaires ou des latomies. Mise au jour par les archéologues de cette époque, on l'a répétée sans prendre la peine d'en rechercher les fondements; et, de nos jours, elle est parvenue à l'état de mon

naie courante.

Bosio, le prince de l'archéologie sacrée, ou peutêtre ses continuateurs, Severano et Aringhi, l'avancent comme un fait admis, dont ils dédaignent de fournir les preuves 1.

Boldetti se fonde sur les Actes des saints Marc et Marcellin, qui placent la sépulture des deux martyrs près de la Voie Appienne, au lieu appelé Ad arenas: il en conclut que les cimetières chrétiens étaient ouverts dans les arénaires païennes1. Auraiton jamais cru ces paroles susceptibles d'une pareille interprétation? N'est-il pas évident que l'auteur a voulu exprimer, d'une part, que le cimetière où les deux martyrs furent ensevelis avait une étroite relation avec l'arénaire, du voisinage de laquelle il prenait son nom; et, d'autre part, que cimetière et arénaire étaient deux choses distinctes. Il ne

• Roma Subterranea, t. 1, c. 1.

2 Boldetti, Osse:vazioni, etc., lib. 1, c. 2, p. 5.

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