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Mettez en action la morale commune,

Les faibles et les forts, leur diverse fortune:
Un masque industrieux offre des animaux ;

Mais sous ce masque est l'homme avec tous ses défauts ;
Lui-même en a souri. Qu'un profond badinage
Échange finement noms, lettres et langage:
L'Allusion agite un mobile miroir,

Et chaque caractère à son tour peut s'y voir.
Le drame, à votre choix, se forme et se dénoue.
En détails égayés que le style se joue.

En vain gronde Lessing: ce peintre en raccourcis
Prit pour une beauté la maigreur des récits.
La Fontaine est modèle, et de cette matière
Son livre est à lui seul la poétique entière.

Si l'erreur de Boileau, dont il fut oublié,
Offense le génie, et surtout l'amitié,

Plaignons ce grand talent, dont la muse instructive,
Hélas! fut étrangère à la grâce naïve !

Ce pauvre bûcheron, par Boileau corrigé,

A fait dire aux neuf sœurs : « La Fontaine est vengé. »

De l'Églogue et de l'Idylle.

D. Qu'est-ce que l'églogue?

R. L'églogue est un tableau de la vie champêtre, où l'on peint les entretiens et les actions des bergers, et dont le plus souvent ils sont eux-mêmes les personnages. D. Quelle différence y a-t-il entre l'églogue et l'idylle?

R. Plusieurs écrivains se sont attachés à reconnaître cette différence. On prétend qu'elle consiste en ce que, dans l'églogue, on fait dialoguer les bergers; qu'ils racontent entre eux leurs aventures, leurs peines, leurs plaisirs; qu'ils comparent la vie tran

quille et heureuse dont ils jouissent, avec les passions dont la nôtre est traversée, et les chagrins qui altèrent notre bonheur; au lieu que dans l'idylle, c'est nous qui comparons le trouble et les travaux de notre vie avec la tranquillité des bergers, et les passions qui nous tyrannisent avec la simplicité de leurs mœurs. Quoi qu'il en soit, ces deux poëmes traitent des sujets de même nature; ce qui les fait confondre ensemble, comme on en jugera par cette charmante définition, où Boileau se sert indifféremment des mots idylle et églogue, pour exprimer la même chose:

Telle qu'une bergère au plus beau jour de fête,
De superbes rubis ne charge point sa tête;
Et sans mêler à l'or l'éclat des diamans,

Cueille en un champ voisin ses plus beaux ornemens :
Telle, aimable en son air, mais humble dans son style,
Doit éclater sans pompe une élégante idylle.
Son ton simple et naïf n'a rien de fastueux,
Et n'aime point l'orgueil d'un vers présomptueux.
Il faut que sa douceur flatte, chatouille, éveille,
Et jamais de grands mots n'épouvante l'oreille.
Mais souvent dans ce style un rimeur aux abois,
Jette là, de dépit, la flûte et le haut bois ;
Et follement pompeux dans sa verve indiscrète,
Au milieu d'une Eglogue entonne la trompette.
De peur
de l'écouter, Pan fuit dans les roseaux,
Et les Nymphes, d'effroi, se cachent sous les eaux.

Au contraire, cet autre, abject en son langage,
Fait parler ses bergers comme on parle au village;
Ses vers plats et grossiers, dépouillés d'agrément,
Toujours baisent la terre et rampent tristement.

On dirait que Ronsard sur ses pipeaux rustiques
Vient encor fredonner ses idyles gothiques,
Et changer, sans respect de l'oreille et du son,
Licidas en Pierrot et Philis en Toinon.

Entre ces deux excès la route est difficile:
Suivez pour la trouver, Théocrite et Virgile.
Cue leurs tendres écrits, par les Grâces dictés,
Ne quittent point vos mains, jour et nuit feuilletés ;
Seuls, dans leurs doctes vers, ils pourront vous apprendre
Par quel art, sans bassesse, un auteur peut descendre;
Chanter Flore, les champs, Pomone, et les vergers;
Au combat de la flûte animer deux bergers;
Des plaisirs de l'amour vanter la douce amorce;
Changer Narcisse en fleur, couvrir Daphné d'écorce;
Et par quel art encor l'églogue quelquefois,
Rend dignes d'un consul la campagne et les bois.
Telle est de ce poëme et la force et la grâce.

D. Quelle doit être l'action de l'églogue? R. L'action de l'églogue étant champêtre, le lieu de la scène doit être la campagne. Ses acteurs, qui sont des bergers, ne connaissent d'autre science que le soin de leurs troupeaux, et la culture de leurs terres; d'autres trésors que ceux qu'ils retirent de leur travail, d'autres plaisirs que ceux où la nature même les invite. Il s'ensuit que le sujet de l'églogue ne doit représenter que des mœurs pures et inno

centes.

D. Quel doit être son style?

R. Boileau, dans le passage qu'on vient de rapporter, a donné tout-à-la-fois le précepte et l'exemple. Il suffit donc d'opposer ici les défauts qu'on doit éviter dans le

style de l'églogue aux beautés qu'il est nécessaire d'y répandre. C'est ce que Gresset a fort bien exprimé, dans cette plainte que forme Euterpe, muse de la poésie pastorale: ce morceau, qui est sur le véritable ton, et dans le véritable style de l'églogue et de l'idylle, peut servir en même temps de modèle:

Lorsque le paisible Élysée
Posséda Racan et Segrais,
Lorsque leur flûte fut brisée,
L'Idylle perdit ses attraits.

A peine la muse fleurie

D'un nouveau berger de Neustrie (Fontenelle)
En sauva-t-elle quelques traits.

La bergère, outrant sa parure,
N'eut plus que de faux agrémens;
Le berger, quittant la nature,
N'eut plus que de faux sentimens ;
Et ce qu'on appelle l'églogue
Ne fut plus qu'un froid dialogue,
D'acteurs dérobés aux romans.
Leur voix contrainte ou doucereuse
Mit les Driades aux abois;
Leur guitare trop langoureuse
Endormit les oiseaux des bois :
Les amours en prirent la fuite,
Et vinrent pleurer à ma suite
La perte des premiers haut bois.

Nous retranchons ici quelques strophes pour en venir à celles où le poëte prescrit les règles à suivre pour composer une bonne églogue:

Affranchis l'églogue captive,
Tire-la des chaines de l'art.

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La nature, sur chaque image,
Doit guider les traits du pinceau ;
Tout doit y peindre un paysage,
Des jeux, des fêtes sous l'ormeau.
L'oeil est choqué s'il voit reluire
Les palais, l'or et le porphyre,
Où l'on ne doit voir qu'un hameau.

Il veut des grottes, des fontaines,
Des pampres, des sillons dorés,
Des prés fleuris, de vertes plaines,
Des bois, des lointains azurés.
Sur ce mélange de spectacles,
Ses regards volent sans obstacles,
Agréablement égarés.

Là, dans leur course fugitive,
Des ruisseaux lui semblent plus beaux
Que ces ondes que l'art captive
Dans un dédale de canaux
Et qu'avec faste et violence
Une Sirène au ciel élance
Et fait retomber en berceaux.

Sur cette scène toute inculte, Mais par la plus charmante aux yeux, On aime à voir, loin du tumulte, Un peuple de bergers heureux. Le cœur, sur l'aile de l'idylle, Porté loin du bruit de la ville, Vient être berger avec eux.

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