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perdre de vue ces préceptes de Boileau :

Soyez riche et pompeux dans vos descriptions,
C'est là qu'il faut des vers étaler l'élégance :
N'y présentez jamais de basse circonstance.
N'imitez pas ce fou qui, décrivant les mers,
Et peignant au milieu de leurs flots entrouverts,
L'Ilébreu sauvé du joug de ses injustes maîtres,
Met, pour les voir passer, les poissons aux fenêtres;
Peint le petit enfant qui va, saute, revient,
Et joyeux, à sa mère, offre un caillou qu'il tient :
Sur de trop vains objets c'est arrêter la vue.

D. Qu'est-ce que la Chronographie? R. La Chronographie est la peinture des temps. Telle est cette description de l'âge d'or, par Boileau :

Hélas! avant le jour qui perdit nos neveux,

Tous les plaisirs couraient au devant de ses vœux ;
La faini aux animaux ne faisait point la guerre;
Le bled, pour se donner, sans peine ouvrant la terre,
N'attendait pas qu'un boeuf, pressé par l'aiguillon
Traçât d'un pas tardif un pénible sillon.

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La vigne offroit par-tout des grappes toujours pleines, Et des ruisseaux de lait serpentaient daus nos plaines.

D. Qu'est-ce que l'Ironie?

R. C'est une figure piquante, pleine de sel, souvent même de fiel, qui, sous des paroles équivoques, cache un sens opposé au sens naturel que ces paroles expriment.

D. Combien y a-t-il d'espèces d'ironie? R. Il y en a de deux espèces. L'une, badine et enjouée, raille avec art, sans aigreur, d'une manière même flatteuse; l'autre, mordante et envenimée, assaisonne ses raille

ries du fiel le plus amer. Cette dernière se nomme autrement Sarcasme. Telle est, du premier genre, cette réponse de Sertorius à Pompée qu'il avait baltu, et qu'il louait de son expérience militaire :

Quant à l'heureux Sylla, je n'ai rien à vous dire;
Je vous ai montré l'art d'abattre son empire;
Et. si je puis jamais y joindre des leçons
Dignes de vous apprendre à repaser les monts,
Je suivrai d'assez près votre illustre retraite,
Pour parler de Sylla sans besoin d'interprète.

D. Dans quels ouvrages la seconde espèce d'ironie règne-t-elle le plus ?

R. Dans la plupart de nos épigrammes, daus quelques morceaux de nos comédies et de nos tragédies. Cette espèce d'ironie règne dans ce discours d'Hermione à Pyrrhus :

Est-il juste, après tout, qu'un conquérant s'abaisse
Sous la servile loi de garder sa promesse ?

Non, non, la perfidie a de quoi vous tenter,
Et vous ne me cherchez que pour vous en vanter.

Du vieux père d'Hector la valeur abattue,
Aux pieds de sa famille expirante à sa vue,
Tandis que dans son sein votre bras enfoncé,
Cherche un reste de sang que l'âge avait glacé;-
Dans des ruisseaux de sang Troie ardente plongée,
De votre propre main Polixène égorgée,

Aux de tous les Grecs indignés contre vous,
yeux
Que peut-on refuser à ces généreux coups?

D. Qu'est-ce que l'Antithèse?

R. L'antithèse est une figure qui con

siste dans un combat de pensées et de paroles opposées les unes aux autres, qui forment un effet frappant. Tel est ce passage du poëme de la Religion :

Ver impur de la terre et roi de l'univers,
Riche et vide de biens, libre et chargé de fers,
Je ne suis que mensonge, erreur, incertitude,
Et de la vérité je fais ma seule étude :

Tantôt le monde entier m'annonce à haute voix;
Le maître que je cherche, et déjà je le vois;
Tantôt le monde entier, dans un profond silence,
A mes regards errans n'est plus qu'un vide immense.

Que d'orgueil! c'est ainsi qu'à moi-même contraires,
Monstre de vanité, prodige de misére,

Je ne suis à la fois que néant et grandeur.

Voici une antithèse bien soutenue dans le caractère d'un homme bizarre et capricieux.

Il veut, il ne veut pas; il accorde, il refuse ;
Il écoute la haine, il consulte l'amour;

Il promet, il rétracte; il condamne, il excuse;
Le même objet lui plaît, et déplaît tour-à-tour.

D. Peut-on user souvent de cette figure? R. Non comme elle est extrêmement brillante, et que l'art s'y manifeste d'une manière fort sensible, on ne doit en user qu'avec quelques ménagemens. Quelques censeurs ont poussé trop loin leur aversion pour cette figure; ils la regardent commé un vice en elle-même; cependant elle a ses agrémens comme toute autre figure, pourvu qu'on ne l'emploie pas sans réserve. En effet, l'antithèse ne se trouve-t-elle

pas

par-tout dans la nature, soit dans l'ordre physique, soit dans l'ordre moral? Tout n'y est-il pas contraste? et les arts n'emploient-ils pas même de la nature la loi du contraste?

D. Qu'est-ce que la figure appelée Parallèle?

R. C'est une figure par laquelle on pèse deux objets dans une juste balance, dont on apprécie la valeur relative, dont on examine tous les rapports et toutes les contrariétés. Tel est ce parallèle de Turenne et d'Aumale:

D'Aumale est plus ardent, plus fort, plus furieux :
Turenne est plus adroit et moins impétueux;
Maître de tous ses sens, animé sans colère,
Il songe à fatiguer son terrible adversaire.
D'Aumale en vains efforts épuise sa vigueur ;
Bientôt son bras lassé ne sert plus sa valeur :
Turenne, qui l'observe, apperçoit sa faiblesse ;
Il se ranime alors, il le pousse, il le
presse,
Enfin, d'un coup mortel il lui perce le flanc.
D'Aumale est renversé dans les flots de son sang,
Il tombe, et de l'enfer tous les monstres frémirent.
Ces funèbres accens dans les airs s'entendirent:
« De la Ligue à jamais le Trône est renversé;
»Tu l'emportes, Bourbon, notre règne est passé.

Tel est encore cet autre parallèle du Cardinal de Richelieu avec le Cardinal Mazarin :

Richelieu, Mazarin, ministres immortels.
Jusqu'au trône élevés de l'ombre des autels;
Eufans de la fortune et de la politique,

Marcheront à grand pas au pouvoir despotique.

Richelieu, grand, sublime, implacable ennemi ;
Mazarin, souple, adroit, et dangereux ami:
L'un fuyant avec art, et cédant à l'orage;
L'autre aux flots irrités opposant son courage;
Des princes de mon sang ennemis déclarés,
Tous deux haïs du peuple, et tous deux admirés;
Enfin par leurs efforts, ou par leur industrie,
Utiles à leurs rois, cruels à la patrie.

CHAPITRE IV.

De l'Éloquence, du Geste et de la Voix.

D. Peut-on donner des règles certaines sur la manière dont un orateur doit prononcer, et comment il doit composer son geste?

R. On ne peut donner sur cette partie de l'éloquence que des préceptes éloignés et généraux, dont l'application à chaque sujet n'est pas facile. Ce qu'il y a de certain, c'est que l'art est nécessaire pour corriger et perfectionner la nature. Nous en avons deux grands exemples dans les deux plus fameux orateurs de l'Italie et de la Grèce, je veux dire Cicéron et Démosthènes, qui n'ont rien épargné pour acquérir une prononciation agréable et un geste bien réglé. Le premier fut loué et admiré comme un fort bel esprit dès le commencement; mais sa prononciation déplut, parce qu'il n'y gardait ni règle, ni mesure, et qu'il avait une voix désagréable :

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