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HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE,

par M. Vallet de Viriville.

L'auteur de ce savant et curieux ouvrage a lui-même tracé ainsi le plan de son livre : « Le cadre qu'embrasse notre sujet est assurément un des plus vastes qui puissent s'offrir à la plume de l'historien et aux méditations du penseur. Montrer par quel miracle et par quelle ingénieuse puissance de vitalité le flambeau de la science, des lettres et de la civilisation, après avoir brillé d'un si vif éclat dans l'antiquité, résista au souffle impétueux de la barbarie; le montrer se ranimant à la flamme plus ardente et plus pure d'une religion nouvelle; suivre pas à pas les phases progressives et le développement de cette renaissance de la raison humaine sur le sol de l'Europe, fécondé par la foi du Christ et par l'esprit moderne; étudier et peindre surtout le mécanisme des institutions qui ont contribué parmi nous à la cultiver et à la répandre tel est le tableau que nous nous proposons de dérouler sous les yeux des lec

teurs. »

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L'auteur ajoute « que son attention se portera partout où l'on a vu se manifester dans ce vaste mouvement une création importante, mais que la France, toutefois, demeurera le centre et le théâtre principal de son étude. » C'est à la France aussi que nous nous attacherons par choix et par nécessité dans cette analyse. Le temps nous manquerait, même pour abréger l'histoire des événements. Nous nous bornerons à signaler quelques faits littéraires et moraux qui caractérisent le savoir ou l'esprit français dans les temps anciens ou modernes. Si nous voulions reprendre les choses de loin, nous parlerions d'abord de nos pères des

Gaules. Et pourquoi n'en dirions-nous pas un mot? Le portrait que nous ferons d'eux n'est-il pas en grande partie le nôtre? Les Gaulois, disent les écrivains de l'antiquité, sont un peuple très-intelligent, fort belliqueux, et cependant naïf, crédule, propre à toute connaissance et d'une excessive curiosité. Souvent, sur les routes et les marchés, ils entourent les voyageurs, les arrêtent de force et les questionnent avidement sur leur patrie, sur le but de leur voyage et sur toutes les nouveautés qu'ils peuvent en apprendre. Quelles étaient les études de ces hommes si curieux et si avides de s'instruire? A l'école des druides, ils apprenaient des milliers de vers et passaient souvent jusqu'à vingt années dans leur noviciat. M. de Viriville donne à ce sujet des détails intéressants, quoique abrégés. On les complétera, si l'on veut, par un excellent chapitre de M. Amédée Thierry, au tome II de son Histoire des Gaulois. Nous avons hâte de quitter cette époque trop primitive et d'arriver à Charlemagne.

Plus d'un fait important et bien des noms célèbres frappent ici l'attention et réveillent les souvenirs. Qui ne se rappelle d'abord le savant Alcuin, et cette école du palais qu'on regarde comme le berceau de notre Université? L'Université date-t-elle véritablement de Charlemagne? Écoutons sur ce point M. de Viriville: « Un historien, fort curieux, dit-il, mais très-crédule et d'un témoignage souvent suspect, le moine de Saint-Gall, raconte que, dès le commencement de ce règne, deux clercs, Irlandais de nation, débarquèrent au rivage de la Gaule avec des marchands d'Angleterre, criant qu'ils étaient marchands de science et qu'ils la vendaient à bon compte. Le roi Charles, les ayant fait venir, leur demanda quel prix ils exigeaient « Un « lieu commode, des créatures intelligentes, et ce dont on << ne peut se passer pour accomplir le pèlerinage d'ici-bas : «la nourriture et l'habit. » Le roi, plein de joie, les garda

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près de lui quelque temps; puis, forcé de partir pour la guerre, il ordonna à l'un d'eux, nommé Clément, de rester en Gaule, lui confia un assez grand nombre d'enfants de haute, de moyenne et de basse condition, et leur fit donner à tous des aliments selon leurs besoins et une habitation convenable. L'autre fut envoyé en Italie et reçut le monastère de Saint-Augustin, près de Pavie, pour y ouvrir une école. » M. de Viriville ajoute : « Cette historiette, déjà peu consistante en elle-même, fut singulièrement amplifiée par la suite, et devint au moyen âge le texte sur lequel s'établit cette tradition que l'Université de Paris avait été fondée par Charlemagne. Mais la légende a rencontré sur son chemin des écrivains sérieux qui n'ont pas manqué de lui chercher querelle. Les savants auteurs de l'Histoire littéraire de la France doutent fort de l'anecdote relative à Clément, « dont on sait, disent-ils, peu de chose que l'on puisse garantir.» Ils le montrent, d'ailleurs, exerçant les fonctions de maître d'école non pas en Gaule, mais à l'abbaye de Reichnau, dans le diocèse de Constance, et troublant ensuite par ses opinions hétérodoxes plusieurs diocèses de la Germanie. Tout cela ne confirme guère le récit suranné qui faisait de l'Université une création du grand empereur. Notre historien dit à propos des institutions de ce genre au moyen âge (p. 119): « Les universités de France, d'Italie, d'Angleterre, sont évidemment les plus anciennes, et se sont formées peu à peu du x au XIIIe siècle, sans que l'on puisse assigner une date précise à leur création. » Si la question d'antiquité est douteuse entre nous et nos voisins, celle de supériorité doit se résoudre en notre faveur. L'Université de Paris éclipsait toutes ses rivales. On sait quelle était la grandeur matérielle et morale de ce corps, dépositaire de la science, qui, au besoin, devenait une armée. Avec quelle fierté impérieuse la fille supposée de Charlemagne réclamait ses droits, et faisait triompher même ses moins

justes priviléges! Elle avait au service de sa puissance deux moyens bien redoutables : l'action, et, plus souvent encore, la force d'inertie. Un pouvoir avait-il blessé l'Université dans ses droits, ses prétentions ou son orgueil, elle faisait ce que fit plus tard le parlement dans ses luttes avec la royauté elle se constituait en vacance. En fermant ses écoles, elle mettait la science du royaume en interdit. On s'épouvantait de ce silence, on négociait, et l'Université, comme Lucinde chez Molière, retrouvait la parole dès qu'elle avait obtenu ce qu'elle voulait. Si elle soutenait énergiquement ces querelles au dehors, elle était quelquefois aussi inquiétée par des troubles intérieurs et des discordes civiles. Les habitudes de la jeunesse scolaire étaient violentes et indisciplinées. Un grave cardinal, Jacques de Vitry, dit M. de Viriville, nous apprend que des rixes, des séditions éclataient fréquemment dans ce tumultueux empire. Les collisions avaient pour causes tantôt les jalousies d'école qui éclataient autour des chaires rivales, tantôt des motifs beaucoup moins littéraires, nés de la pétulance et du désordre. Les qualifications suivantes témoignent de l'estime qu'ils s'accordaient réciproquement. Les écoliers s'accusaient entre eux, savoir : les Anglais, d'être buveurs et couards; les Français, orgueilleux et efféminés; les Allemands, colères et obscènes dans leurs repas; les Normands, charlatans et glorieux; les Poitevins, traîtres et adulateurs; les Bourguignons, brutes et stupides; les Bretons, légers et indiscrets; les Lombards, avares, lâches et perfides; les Romains, tumultueux et violents; les Flamands, buveurs de sang, incendiaires, routiers, voleurs, etc. Ces rapports fraternels donnaient sans doute à la vie universitaire un charme tout particulier; car on voit que les jeunes gens d'alors la prolongeaient quelquefois jusqu'à leur maturité. Jean de Salisbury avait suivi les cours d'Abélard; déjà célèbre, il revint en France il re

trouva sur les bancs les condisciples qu'il y avait laissés douze ans plus tôt. On a toujours eu en France un goût prononcé pour les longues études. Nous avons vu quelle en était la durée chez les druides; elle ne s'était guère abrégée au temps de Salisbury, et nous avons encore aujourd'hui des étudiants fort patients qui continuent la tradition nationale.

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Il fallait d'ailleurs beaucoup de persévérance au XIIe siècle pour s'initier aux formules demi-savantes et demi-barbares qui composaient le fond de l'enseignement. C'était à peine assez d'une jeunesse tout entière pour épuiser la grande querelle des réaux et des nominaux, qui a troublé les têtes et les États pendant des siècles. Cette question n'était pas la seule qu'on soulevât dans les écoles; on en agitait avec passion de beaucoup moins graves; on discutait très-sérieusement, par exemple, le point de savoir si, « lorsqu'un paysan mène un porc au marché, c'est l'homme ou la corde qui conduit l'animal. » On ne serait jamais sorti de difficultés semblables; mais heureusement tout se tranchait alors par la parole du maître : Dixit, ergo verum est. C'était là le bon temps, l'autorité du professeur était souveraine. Il est vrai qu'il s'aidait alors de certains procédés négligés aujourd'hui. L'éducation primaire, dans tout le moyen âge et beaucoup plus tard, s'est partagée constamment en deux branches, l'instruction orale et l'enseignement manuel, plus clairement, si l'on veut, la parole et les coups: tous les pédagogues frappaient en Europe comme un seul homme. A Paris, « le roi de France était le premier boursier de Navarre, et sa bourse servait à payer les verges du collége. Dans le diocèse de Troyes, le maître fouetteur comptait parmi les fonctionnaires essentiels, et pour son entretien les élèves payaient un droit contributif et spécial. Il n'y avait rien de plus général ni de plus uniforme que cette méthode, variable seulement dans les degrés d'appli

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