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voyage, ils achètent des marchandises, rien n'empêche qu'ils ne les fassent assurer. Réglement d'Amsterdam, art. 11.

Une question assez singulière se présenta en notre amirauté. Jean-Marie Amiel s'était embarqué en qualité de nocher sur le navire la Vestale, capitaine Brunet, aux salaires de 60 liv. par mois. Le navire se trouvant dans un port de relâche, Amiel refusait de continuer la route, à moins qu'on ne lui assurât ses salaires gagnés. Le capitaine Brunet lui fit une déclaration conçue en ces termes : J'assure à Jean-Marie Amiel les salaires qui lui sont dus jusqu'à présent. Le navire remit à la voile, et fut pris par les Anglais. Amiel présenta requête contre le capitaine, en paiement de 520 liv. pour salaires acquis et assurés. Le capitaine répondit qu'il n'avait fait cette prétendue assurance que pour prévenir la désertion du nocher; qu'une pareille assurance était prohibée par l'Ordonnance, puisqu'il s'agissait des salaires du voyage actuel, et non encore gagnés; que les salaires sont dus conditionnellement dans le cas où le navire arrive à bon port. Sentence du 20 mars 1757, qui débouta ce nocher de sa requête, avec dépens.

CONFÉRENCE.

LXXIII. Si l'art. 15 du titre des assurances de l'Ordonnance défend de faire assurer les loyers des gens de mer, l'art. 347 du nouveau Code de commerce le défend également. C'est toujours parce que ces loyers sont pour eux des profits éventuels qui ne leur appartiennent pas encore; ce sont des créances conditionnelles qui ne forment pas un objet physique qui soit dans le navire; ce sont, dit Pothier, des gains que les gens de mer manquent de faire si le navire périt, plutôt qu'une perte qu'ils courent risque de faire.

Il est encore un autre motif puissant qui devait faire défendre l'assurance du fret et des loyers des matelots: c'est qu'au moyen de cette assurance, le capitaine deviendrait sûr du fret et les matelots sûrs de leurs loyers, quelque événement qui arrivât. Ils ne seraient donc plus autant intéressés à veiller à la conservation du navire et de son chargement. Mais il n'y a pas de doute que si, par le moyen de leurs avances ou des à-comptes reçus pendant le voyage, ils ont acheté des marchandises, rien n'empêche qu'ils ne les fassent assurer. La raison en est simple: c'est que n'étant pas tenus de restituer ces avances d'après l'art. 258 du Code de commerce, ces avances ne sont plus un profit éventuel, et les marchandises qui en proviennent sont alors des objets physiques dans le navire, susceptibles d'être exposés aux risques et fortunes de mer.

SECTION XI.

Argent donné à la Grosse.

$1. Défense au preneur

L'ART. 16, titre des assurances, de l'Ordonnance, défend à ceux qui prendront deniers à la grosse de les faire assurer, à peine de nullité de l'assurance et de pu- de faire assurer les nition corporelle.

Pothier, no. 3, rapporte deux raisons de cette défense. La première est que le risque des deniers donnés à la grosse ne tombe pas sur le preneur. Or, dit-il, l'on ne peut faire assurer que ce qu'on court risque de perdre. La seconde raison est que, s'il était permis au preneur de faire assurer la somme par lui reçue à la grosse, il serait, en cas de sinistre, déchargé de toute obligation envers le donneur, et recevrait de la part des assureurs la même somme en pur gain. L'assurance qui ne peut avoir d'autre objet que l'indemnité du dommage souffert, servirait à lui procurer un bénéfice; ce qui répugne à la nature du contrat.

Si le preneur met en risque des effets dont la valeur excède la somme par lui reçue à la grosse, il lui est libre de faire assurer cet excédant. Valin, art. 16, titre des assurances. Pothier, n°. 31.

L'art. 17, titre des assurances, défend aux donneurs à la grosse de faire assurer le profit des sommes qu'ils auront données; car, comme l'observe Pothier, n°. 32, l'Ordonnance ne permet d'assurer que ce qu'on risque de perdre. Or, le profit maritime que le prêteur a stipulé, est un gain qu'il manquera de » faire, si le vaisseau périt, et non une perte. »

deniers qu'il prend à la grosse.

§ 2. Défense au don

neur de faire assu

rer le profit.

$3. Le donneur peut

Celui qui a prêté des deniers à la grosse peut-il faire assurer son capital? Pothier, no. 32 et 44, et Valin, art. 17, titre des assurances, disent qu'oui. il faire assurer son Les docteurs étrangers n'y mettent aucun doute. Casaregis, disc. 70, no. 15 capital? et 16, disc. 127. Et tel est notre usage.

M. Pouget, lieutenant de l'amirauté à Cette, savant magistrat, était d'un avis contraire. Voici comme il s'expliquait dans une de ses lettres du 1o. août 1768: « Je sais, dit-il, que cela se pratique dans les villes de commerce; mais je ne laisse pas d'être persuadé que cette espèce d'assurance est très-illégi– › time et manifestement usuraire. Le change maritime, qui est toujours très› considérable, n'est autorisé qu'à cause que le prêteur se soumet à perdre

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son capital, en cas de naufrage ou autres fortunes de mer. S'il se met à » l'abri de ce danger par une assurance de ce même capital, que devient le principe sur lequel la légitimité du change maritime, toujours exorbitant, » est établie ? Le prêteur, qui s'est fait assurer, n'est à découvert que de la prime ou coût de l'assurance, qui, dans le tems ordinaire, est très-peu de » chose. Faut-il que, sous prétexte d'une modique somme qu'il aura payée » à l'assureur, il puisse être en droit d'exiger, si le voyage a eu un heureux › succès, vingt, trente ou quarante pour cent d'intérêt, contre toutes les lois >> divines et humaines, puisqu'il est certain que son capital lui reviendra ou de la part de celui auquel il l'a prêté, ou de celle de l'assureur? L'Ordonnance, art. 17, fait défenses aux donneurs à la grosse de faire assurer le pro> fit des sommes qu'ils auront données; elle ne parle point du capital : d'où » l'on a conclu qu'il était permis de le faire assurer. Mais, à mon avis, c'est » une très-mauvaise conclusion, et je pense, au contraire, que le silence du législateur n'est fondé que sur ce qu'il ne lui est pas venu dans l'esprit qu'une pareille espèce d'assurance pût s'introduire, attendu qu'elle est formelle»ment opposée à la nature de ce contrat, qui n'a été déclaré légitime, comme »> nous l'avons dit, qu'à cause du danger de perdre le capital, à quoi le prê» teur se soumet. Il faut donc que ce danger subsiste, pour conserver la légi» timité du change maritime, et afin qu'il ne devienne pas usuraire, M. Valin » est d'un autre avis. Il suppose que l'art. 17 autorise l'assurance du capital » donné à la grosse, parce qu'il ne défend que celle du profit qui en doit » résulter; il appuie cette décision sur ce que le prêteur reste à découvert » de la prime, qui est quelquefois considérable. Mais outre que pour l'ordi» naire elle est très-modique, n'est-elle pas toujours bien au-dessous de l'in» térêt maritime du contrat à la grosse? La même proportion s'y trouve à » peu près, et par conséquent la même usure, si le capital n'est pas en danger. » Je ne pousserai pas plus loin mes réflexions. Peut-être même vous les trou

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» verez assez inutiles. »

Les réflexions de ce magistrat sont profondes; elles sont le fruit de l'étude, de l'expérience et du génie. Elles partent d'un cœur honnête et vertueux. Mais si le législateur avait désapprouvé qu'on fit assurer le capital donné à la grosse, il ne se serait pas borné à défendre d'en faire assurer le profit. Il eût été bien plus court de prohiber l'assurance du capital même. On a donc été fondé à croire qu'à cet égard, on se trouve dans le cas de la règle permissum, quod non prohibitum.

Tous nos auteurs conviennent que le contrat à la grosse est licite. Il a

été autorisé par l'Ordonnance. Il a un caractère et une nature qui lui sont propres.

Je donne à Pierre mille écus au change maritime de douze pour cent pour un voyage. Si le voyage est heureux, il doit me payer le principal et le change stipulé. Si le navire périt, Pierre est déchargé de toute obligation. Je suis donc en risque de mon capital. Je veux le faire assurer.

Il est sensible que cette assurance ne pourra pas être souscrite par le preneur lui-même; car ce n'est qu'en considération du risque maritime dont il est déchargé, qu'il m'a promis un change de douze pour cent, plus ou moins. S'il se rendait mon assureur, l'essence du contrat à la grosse serait blessée entre lui et moi; ce serait une usure masquée.

Mais rien n'empêche que je fasse assurer mon capital par un tiers. Cela ne blesse en rien les accords que j'ai passés avec Pierre. En cas d'heureux retour, j'aurai mon capital et le change, mais je serai en perte de la prime gagnée par l'assureur. Si le navire périt, je suis privé du change maritime, et l'assureur me remboursera mon capital ébréché par la prime, et même par la déduction du dixième.

On n'entrevoit en tout cela aucune trace ni d'usure, ni de pacte illicite. Telle est la doctrine des auteurs cités, auxquels on peut joindre Ansaldus disc. 70, no. 5, et Scaccia, de cambiis, quest. 1, no. 503.

C'est ici une espèce de réassurance à laquelle le donneur a recours, pour se décharger sur un tiers des risques maritimes dont il est tenu vis-à-vis du preneur. Casaregis, disc. 15, no. 1; disc. 127, no. 21.

Voici un cas qui n'est pas exempt de doute. Je vous donne à la grosse cent écus, à condition que si le navire périt, vous me rendrez la moitié de cette somme; mais si le navire arrive à bon port, vous me paierez mon entier capital, avec vingt pour cent de change maritime.

Le docteur Silvestre soutient que ce contrat est usuraire, parce que la même personne ne peut être preneur et assureur pour le même objet. Roccus, not. 40, dit au contraire que ce contrat est légitime, parce que le péril devient commun à l'une et à l'autre des parties : Quia uterque se exponit incommodo.

Je ne crois pas qu'un pareil systême fût adopté parmi nous. La nature du contrat de grosse s'y oppose. Il serait intolérable que le preneur, qui, par le naufrage, a perdu tout ce qu'il avait dans le navire, restât débiteur de partie d'une dette, dont le change maritime avait été stipulé en considération des risques maritimes auxquels le donneur est soumis par la disposition de

$ 4.

Argent donné à la grosse, avec pacte voto per pieno.

$5.

Autres usages des pays étrangers.

la loi. C'est bien assez qu'on permette à celui-ci de faire assurer son capital. Vid. Roccus, not. 75 et 76.

En divers pays d'Italie, il est permis de donner des sommes à la grosse, avec la clause voto per pieno; c'est-à-dire avec pacte que si le navire arrive heureusement, le capital et le change maritime seront payés au donneur, quoique le preneur n'ait rien chargé; et que, dans le cas contraire, le prencur sera délié de toute obligation : c'est là une espèce de gageure. Casaregis, disc. 14, no. 20.

Si le donneur a fait assurer son capital, et que le navire sur lequel le preneur n'a rien chargé périsse, les assureurs ne seront tenus de rien, à moins, dit Casaregis, d. loco, n°. 21 et 22, que l'assurance n'ait été faite en forme de gageure; cc qui, ajoute-t-il, est prohibé à Gênes,

Au disc. 15, il propose un cas très-capable de partager les suffrages. Dans Livourne, des Juifs avaient donné une somme à la grosse, avec la clause voto per pieno. Ils la firent assurer à Gênes. Le navire périt.

Suivant les lois de Livourne, le preneur se trouvait délié de toute obligation, quoiqu'il n'eût rien chargé dans le vaisseau.

Casaregis et un autre docteur, consultés sur le point de savoir si l'assurance faite à Gênes était valable, furent divisés en opinion.

Le confrère de Casaregis était d'avis que le contrat de grosse par forme de gageure étant autorisé par les lois de Livourne, où il avait été passé, les donneurs avaient, au sujet du navire, un véritable risque qu'ils avaient eu droit de se faire assurer dans Gênes: Conabatur alter advocatus affirmativam tueri ex eâ ratione, quòd validâ existente sponsione factâ Liburni, ubi ea non prohibetur prout Genua, negari non potest assecuratos verè non habuisse risicum super navi; nam eâ naufragium passa, pecuniam datum cambio, admittebant.

Casaregis soutenait que l'assurance était nulle, parce que, suivant le Statut de Gênes, il faut que les effets assurés aient été réellement exposés aux risques de la mer Securitates non possunt fieri pro se, neque pro aliis, nisi extet risicum, vel in mercibus, vel in navigiis, vel rebus quibusvis assecuratis mediatè, vel immediatè, principaliter, vel indirectè.

L'opinion de Casaregis est conforme à la règle que nous suivons en France, et qui veut que l'assuré justifie le chargement effectif.

En Italie, le donneur peut faire assurer non seulement le capital, mais encore le change maritime. Ansaldus, disc. 70, n°. 3o. Casaregis, disc. 1, n°. 123. Mais cette assurance du change est une gageure.

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