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il fut décidé que le dixième serait prélevé des facultés, sans qu'il fût permis de le rejeter sur le corps, attendu que les assurances étaient divisées.

Autre décision conforme. Les sieurs Perron frères avaient fait assurer, par une seule police, 42,100 liv., savoir: 9,680 liv. sur le corps, et 32,620 liv. sur les facultés de leur navire le Saint-Domingue. Ils prétendirent qu'ils avaient fait assurer 3,631 liv. de trop sur les facultés, et ils demandèrent le ristourne. Les assureurs opposèrent que l'intérêt des assurés excédait les sommes assurées. L'avis fut que les assurances ayant été faites divisément sur le corps et sur les facultés, elles ne pouvaient pas être confondues. Et par sentence du 31 mars 1759, le ristourne concernant les facultés fut adjugé aux sieurs Perron, pour lesquels M. Gignoux écrivait. M. Massel écrivait pour les assureurs.

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M. Valin, art. 18, titre des assurances, adopte cette distinction. Elle ne paraît pas juste à M. Pothier, n°. 42. Le dixième, dit ce dernier, dont l'Or

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› donnance veut que les assurés courent le risque, est le dixième, non des > effets qu'ils ont fait assurer, et qui sont compris dans la police, mais le › dixième de ceux qu'ils ont pris sur le vaisseau. »

Je persiste à mon premier avis, confirmé par celui de M. Pothier. S'agissant ici d'un point contraire au droit commun, et d'un moyen établi pour éviter les abus, l'objet de l'Ordonnance est rempli dès que l'assuré, pour gage de sa fidélité, reste à découvert du dixième de l'intérêt qu'il a en la navigation. L'art. 18, titre des assurances, ne concerne pas moins le corps du navire que les effets chargés. Le tout ne forme donc qu'une masse, dont il suffit que le dixième reste aux risques de l'assuré.

$6.

J'ai parlé de l'usage abusif où les propriétaires des navires, à Bordeaux, sont de faire assurer le dixième, malgré la disposition prohibitive de l'Or- Usage de Bordeaux. donnance. Voici un cas qui me fut proposé en juillet 1782.

Des négocians, qui avaient un intérêt de 200,000 liv. sur le corps et la cargaison d'un navire, firent assurer, à Bordeaux, 170,000 liv., avec pacte qu'ils se faisaient assurer le dixième. Ils donnèrent ordre à leur commissionnaire, à Marseille, de faire assurer les 30,000 liv. restantes. Celui-ci fit assurer 27,000 liv. Le navire fut pris par les Anglais.

Les assureurs de Marseille disaient qu'on n'avait pu faire assurer ici que 10,000 liv., et que le surplus tombait en ristourne.

On répondait qu'ils excipaient du droit du tiers, et que peu leur importait qu'à Bordeaux le dixième eût été assuré.

Je fus d'avis, 1°. que l'usage allégué était un abus auquel on ne devait pas

T. I.

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avoir égard; 2°. que si par une première police dressée à Bordeaux, ou par un pacte particulier, on eût déclaré nommément faire assurer 20,000 liv. pour le dixième d'intérêt, ce dixième aurait été mis hors de ligne, et tout le reste serait devenu matière d'assurance. On aurait alors pu dire aux assureurs marseillais qu'ils excipaient du droit du tiers. Mais l'ordre naturel des choses n'a été interverti par aucun pacte spécial; les assurances faites à Bordeaux ont, ipso jure, affecté tout premièrement la partie libre de l'intérêt en risque. Le dixième est resté à la queue, et dans le rang qui lui était propre. Or, c'est ce même dixième, existant en nature, qu'on est venu faire assurer à Marseille, à quoi s'opposent la disposition de la loi et notre jurisprudence.

P. S. Je viens d'apprendre qu'à l'imitation de ce qui se pratique à Bordeaux et à Nantes, quelques-uns de nos armateurs font, depuis peu de tems, assurer le dixièmo; les parties renonçant à la disposition de l'Ordonnance qui le prohibe, et à toute autre loi qui pourrait être à ce contraire, le tout de pacte exprès. Mais il n'est pas au pouvoir des parties de renoncer aux lois prohibitives. L. 5, C. de legibus. La clause dont je viens de parler est illicite, nulle, et doit être cassée.

N. B. Jusqu'à présent j'ai traité des objets matériels qui sont réellement exposés aux hasards de la mer, et qui, suivant les cas, sont capables ou incapables de devenir la matière de l'assurance proprement dite. Je vais maintenant traiter de plusieurs autres points qui, n'ayant par eux-mêmes ni assiete, ni consistance physique, dependent, à certains égards, du sort de la navigation, et peuvent faire ou ne pas faire le sujet du contrat d'assurance.

CONFÉRENCE.

LXX. Il est inutile maintenant d'examiner les opinions des auteurs sur les dispositions de l'art. 19, titre des assurances, de l'Ordonnance, qui ne permettait aux propriétaires du navire et aux gens qui sont dans le navire, d'assurer les effets qu'ils y ont, que sous la déduction d'un dixième, qui restait à leurs risques. Le Code de commerce a mis sagement à l'écart cette disposition de l'Ordonnance, en permettant par ses art. 334 et 335, sans exception ni limitation, l'assurance de la totalité des objets qui en sont susceptibles.

SECTION VIII.

Fret.

1o. LE nolis est un salaire qu'on paie ou qu'on promet de payer au capitaine, à condition qu'il transportera la marchandise ou les passagers au lieu indiqué. Si ce transport n'est pas fait, soit par cas fortuit (sauf certaines exceptions et modifications), soit par la faute du capitaine, le nolis n'est pas dû.

2o. Ordinairement, le nolis n'est payé que dans le lieu du déchargement; mais rien n'empêche de le payer par avance. Art. 18, titre du fret. Pothier, Traité des contrats maritimes, no. 86.

Le paiement qui en est fait avant le voyage, est considéré comme une espèce de prêt que le chargeur fait au capitaine : Pro mutuâ, dit la loi 15, § 6, ff locati. Ibiq. Cujas, lib. 3, obs. 1. Kuricke, aux Questions illustres, quest. 34, pag. 898.

3o. « Il n'est dû aucun fret des marchandises perdues par naufrage ou échoue› ment, pillées par des pirates ou prises par les ennemis. » Art. 18, titre du fret. Pothier, contrats maritimes, n°. 63.

En pareil cas, le chargeur est dispensé de payer le nolis, et s'il l'a payé par avance, il a droit de se le faire rendre. D. art. 18. Et telle est la disposition textuelle de la loi 15, § 6, ff locati, qu'on ne peut bien entendre qu'avec le secours de la Glose et de Cujas, lib. 3, observ. 1. Consulat de la mer, ch. 193 et 229. Droit anséatique, tit. 9, art. 2. Ibiq. Kuricke, pag. 669, 795 et 898. Guidon de la mer, ch. 6, art. 2. Cleirac, sur les Jugemens d'Oléron, art. 9, n°. 9. Roccus, de naulo, not. 70, et dans ses Réponses choisies, resp. 23. Casaregis, disc. 22, no. 44 et suiv.

4°. L'art. 18, titre du fret, après avoir décidé qu'il n'est dû aucun fret des marchandises perdues, et que le maître est tenu, en ce cas, de restituer le fret qui lui aura été payé par avance, ajoute, s'il n'y a convention con

traire.

On peut donc valablement convenir que le fret sera dû à tout événement, dit Pothier, Traité des contrats maritimes, no. 65, tom. 2.

Cette convention contraire ne plaît pas à M. Valin, sur l'art. 18, titré du

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$ 2.

On ne peut faire

fret, de l'Ordonnance. Ne fût-ce, dit-il, qu'à cause des malversations que la » certitude du gain du fret peut occasionner de la part du maître. »

Cleirac, pag. 317, avait craint les mêmes abus; mais, comme le dit M. Valin lui-même, art. 15, titre des assurances, la crainte d'un crime ne doit pas empêcher de se tenir aux règles de la justice.

Les règles de la justice sont de garder les pactes convenus, pacta servabo, lorsqu'ils ne blessent ni les bonnes mœurs, ni l'essence du contrat, ni aucune loi prohibitive.

Le pacte dont il s'agit est permis par l'Ordonnance, et se rapproche de la règle établie par la loi 38, ff locati, où il est dit : Qui operas suas locavit, totius temporis mercedem accipere debet, si per eum non stetit quominus operas præstet.

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Ces principes posés, examinons si le fret peut devenir un objet d'assurance. L'art. 15, titre des assurances, dit que les propriétaires des navires, ni les assurer le fret à faire maîtres, ne pourront faire assurer le fret à faire de leurs bâtimens. › Cleirac, sur le Guidon de la mer, ch. 15, art. 1, rapporte deux raisons de cette décision. Le fret, dit-il, assez privilégié d'ailleurs, ne peut être assuré : Quia duæ specialitates non possunt concurrere circà idem. Et d'abondant, pour rendre le maître plus soigneux de la conservation du navire et de la mar>chandise qu'il pourrait négliger, s'il était assuré : Ne detur occasio ad delinquendum.

Usage d'Italie.

$ 3.

Fret acquis.

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La première de ces raisons ne paraît pas légale; car rien n'empêche de multiplier ses sûretés pour le même objet.

La seconde raison est bonne; mais voici la véritable raison de décider. Le fret à faire est un profit incertain. Il sera le prix de la navigation heureuse, et le fruit civil du navire. Il ne l'est pas encore : il ne peut donc devenir une matière d'assurance.

En Italie, il est permis d'assurer le fret à faire. Roccus, not. 96.

Ce même auteur, not. 91, demande si, après l'heureuse arrivée du navire, les assureurs sont responsables des dépens faits pour l'exaction du nolis assuré. Il prétend qu'oui.

Tout cela est contraire à nos usages.

La déclaration du 17 août 1779, art. 6, dit: Le fret acquis pourra être assuré, et ne pourra faire partie du délaissement du navire, s'il n'est expressément compris dans la police d'assurance.

A Marseille, on ne croyait pas que le fret acquis pût jamais devenir une matière d'assurance de la part des propriétaires du navire; mais puisque le roi

l'a permis, il faut nécessairement que la chose puisse être mise en pratique. Toute la difficulté se réduit à savoir ce qu'on doit entendre par fret acquis. Valin, art. 15, titre des assurances, et Pothier, n°. 36, des assurances, entendent par fret acquis, le fret qui, aux termes de la convention entre le › propriétaire du navire et les marchands, doit lui être payé à tout événement, › dans le cas de perte du vaisseau et des marchandises, comme dans celui » de l'heureuse arrivée. Il est évident, disent-ils, que ce fret ne peut pas être » matière d'assurance de la part du propriétaire du navire, puisque le proprié»taire ne court aucun risque à cet égard. »

Si le fret ainsi stipulé à tout événement a été payé avant le départ du navire, il est présumé avoir été employé à l'armement du corps, et ne peut point faire capital dans les assurances que les armateurs font faire sur le corps pour leur propre compte; autrement, ils feraient assurer au-delà de leur intérêt primitif et véritable. Vid. infrà, ch. 17, sect. 9, quest. 3.

Si le fret stipulé à tout événement est encore dû aux armateurs du navire, l'assurance que ceux-ci feraient faire d'un pareil fret ne serait rien de plus qu'un simple cautionnement de la solvabilité du débiteur.

J'observerai, avec Valin et Pothier, que le passager ou le chargeur qui ont payé ou promis de payer le fret à tout événement, peuvent le faire assu rer, parce que ce fret, définitivement acquis à l'armateur, est une dépense qu'ils risquent de perdre, si, par fortune de mer, le navire n'arrive pas au lieu destiné.

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Réponse de notre chambre du com

La chambre du commerce à Marseille, consultée sur le projet de la déclaration du 17 août 1779, répondit que le capitaine pouvait faire assurer les merce. marchandises chargées pour son compte dans le navire, et achetées par le moyen du fret qu'il aurait successivement acquis dans les diverses échelles de sa caravane; ce qui est relatif au Coutumier d'Amsterdam, art. 11, où il est dit que les capitaines peuvent faire assurer les marchandises provenant de leurs salaires et

vacations.

Mais ce ne serait pas alors faire assurer le fret acquis; ce serait faire assurer des effets achetés par n'importe quel moyen. Le fret une fois payé devient de l'argent, dont le capitaine peut disposer suivant sa prudence, et sauf d'en rendre compte à qui de droit: Pretium non ex re, sed propter negociationem percipitur. L. 21, ff de hæred. et act. vend.

M. Figon, de Marseille., négociant très éclairé, qui a eu la complaisance de lire mon manuscrit, et aux lumières duquel je dois beaucoup, me communiqua ses idées au sujet de ce mot fret acquis.

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