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RAPPORT.

SUR

LES DUCS DE CHAMPAGNE,

de M. Etienne GALLOIS,

Par M. l'abbé BANDEVILLE,

Parmi toutes les provinces de France, il en est peu de plus historiques que la Champagne : foyer sacré d'où jaillit l'étincelle évangélique qui éclaira la nation des Francs; séjour de plusieurs des rois descendants de Clovis ou de Charlemagne, et par-là même rendez-vous fréquent des cours plénières, des champs de Mars ou de Mai, des assemblées nationales; arène sanglante des meurtriers débats des Mérovingiens, la terre champenoise, sous les deux premières dynasties, est comme le théâtre des principaux évènements de la monarchie française, et son histoire se lie intimement à celle du royaume entier. A cette époque, il est vrai, nos annales offrent peu de noms brillants, point de personnages ceints d'une auréole de gloire, comme ceux qui plus tard, parés du titre de comtes, marcheront de pair avec les rois; mais en revanche, le pays, moins éclipsé, paraît davantage; et les quelques noms qui se laissent entrevoir dans l'obscurité, doivent au mystérieux nuage qui les

enveloppe, d'exciter plus d'intérêt, en piquant plus vivement la curiosité.

Car, vous le savez, Messieurs, en histoire comme en bien d'autres sciences, ce qui plaît, ce qui flatte le plus, ce n'est pas le grandiose, un nom glorieux, un fait éclatant, un trait héroïque : c'est ce qu'il y a de moins connu ; et l'historiographe se met, au milieu des diplômes et des parchemins, à la poursuite d'un nom rare, avec autant de zèle et de persévérance que l'herboriste dans les bois et les montagnes à la recherche d'une plante, le géologue dans les entrailles de la terre à la découverte d'une pierre ou d'un fossile : et le plaisir, le battement de cœur que sent l'un à la vue d'une herbe, d'une fleur, d'une feuille de forme nouvelle, l'autre à l'aspect d'un débris antediluvien, l'annaliste l'éprouve à la lecture d'un nom, d'un fait que person ne n'avait soupçonné, ou du moins remarqué avant lui. Ne soyons donc point étonnés si l'histoire des temps mérovingiens, et surtout celle de la Champagne à cette époque, a été si souvent exploitée comme une mine de riche espérance.

Cependant, si cette partie de l'histoire a son côté intéressant, à cause des ténébres qui la couvrent, elle a aussi, par le même motif, son côté difficile et pénible. Là, presque toujours, il faut marcher sans lumière, au milieu des incertitudes : ce sont des textes à comparer, des contradictions à concilier, des invraisemblances à apprécier, des anachronismes à rétablir; c'est toute une série de faits qu'il faut deviner et bâtir sur une charte, un nom et cette charte, il faut la déterrer dans la poussière, le cahos des archives; ce nom, il faut le découvrir dans le dédale de cent chroniques enfouies elles-mêmes dans les pages innombrables d'une

multitude d'in-folio. Et quand, pour écrire une seule ligne, un auteur s'est appliqué pendant des jours entiers à chercher, compulser, déchiffrer, comparer, le résultat de ses longues et laborieuses investigations, c'est le plus souvent un peut-être.

L'opuscule qui nous a été présenté par notre confrère, M. Etienne Gallois, est un travail de ce genre. Ce n'est pas l'histoire de la Champagne sous la première dynastie de nos rois (ce cadre eût été plus facile à remplir, puisque comme je l'ai dit, il eût renfermé l'histoire de la monarchie elle-même), ce sont des recherches sur ces grands officiers qui, sous le titre de ducs, administraient le pays, au nom du roi qui régnait, et sous l'influence du maire, qui gouvernait. Avouons-le pourtant, le chemin avait été frayé : Pithou, Baugier, et plus récemment M. Béraud, dans une Histoire des comtes de Champagne, et notre savant confrère M. Fleury, dans un des premiers numéros de la Chronique de Champagne, avaient reconnu les lieux, les noms et les faits explorés par M. Gallois. Mais les premiers, en rétrécissant leur cadre, n'avaient fait qu'esquisser le tableau que celui-ci voulait dessiner plus largement; et d'ailleurs plusieurs d'entre eux n'avaient pas su se garantir d'erreurs assez graves. Toutefois ils ont pu être pour l'auteur le fil d'Ariane qui l'empêchait de s'égarer dans le labyrinthe qu'il avait à parcourir.

M. E. Gallois écrit avec conscience, et, ce qui est un mérite assez rare par le temps qui court, il a lu tous les auteurs qu'il cite, et il en cite un grand nombre. Les histoires de Grégoire de Tours, d'Aimoin, de Flodoard; les poëmes de Fortunat; les chroniques de

Frédégaire, d'Herman Contract, de Sigebert, d'Adon; celles de Saint-Denis, du monastère de Massay, de Fontenelle, de Limoges, de Fleury; les annales de Metz, de Saint-Nazaire; l'histoire de Dupleix; les antiquités de Fauchet; enfin les ouvrages modernes qui pouvaient lui offrir quelques renseignements, ont été tour-à tour consultés par notre laborieux confrère.

Parmi les huit ducs dont il indique les noms, trois seulement lui ont paru certains: c'est 1° Loup ou Lupus, premier duc de Champagne, sous le règne de Sigebert, roi d'Austrasie, et de son fils Childebert II; 2o Winthrio ou Quinthrio, sous le même Childebert et ses fils Thierry et Théodebert; 3° Drogon ou Dreux, fils de Pépin d'Héristal, sous l'administration de son père, et pendant le règne de Childebert III. Les autres ne sont présentés qu'avec doute; et l'auteur les admet ou les exclut, en faisant à chacun la part de probabilités qui militent pour ou contre lui.

Cet ouvrage, je ne saurais trop le redire, est un écrit consciencieux ; et même, si quelques légères inexactitudes ont pu s'y glisser, on doit les imputer aux scrupules de l'écrivain, qui n'a voulu admettre que ce qu'il a vu par lui-même aux sources originales. J'ai parlé d'inexactitudes; il est juste que je signale celles que j'ai cru remarquer. M. E. Gallois, qui aime avant tout la vérité, ne verra sans doute dans mes observations que le désir de concourir avec lui à l'éclaircissement d'un des points les plus intéressants, mais les plus obscurs de notre histoire.

Je lis à la page 39: « L'auteur des Mémoires histo«riques de Champagne fait mention d'un certain Wi<«<mar qui aurait été aussi duc de cette province à la

« même époque (589). Nous n'avons trouvé aucune << trace de son existence dans Grégoire de Tours, Ai« moin, Frodoard et les autres chroniqueurs. Nous imi<«< terons P. Pithou, qui garde à son égard le même si«<lence qu'à l'égard d'Amalon, et, n'étant appuyé sur <«< aucune autorité, nous ne lui donnerons point le titre « de duc de Champagne. » Ne semblerait-il pas, d'après ce passage, que Baugier est coupable d'avoir usurpé le duché de Champagne au profit de ce Wimar, et que c'est un personnage de son invention ? Mais la faute ne pèse pas sur lui seul, car M. Béraud, qui s'accorde presque en tout avec notre confrère, même pour exclure Wimar, fait le même reproche à Flodoard; M. Béraud assure, dans son Histoire des comtes de Champagne, que Flodoard fait du personnage en question le cinquième duc de Champagne. Moins heureux que M. Béraud, j'ai feuilleté scrupuleusement tout Flodoard, sans y découvrir une seule fois le nom de Wimar; mais, plus heureux que M. Gallois, j'ai trouvé de nombreuses traces de son existence dans plusieurs hisforiens, des annalistes, et même des auteurs originaux : non pas à l'époque de la mort d'Amalon, vers 589, mais près d'un siècle plus tard, vers 670. Je ne citerai pas les Annales bénédictines de Mabillon, les Annales ecclésiastiques de Lecointe (1), l'histoire latine de D. Marlot (2), les Histoires ecclésiastiques de Fleury, de Bérault-Bercastel, de Longueval, les Vies des Pères de Godescard (3) ni beaucoup d'autres qui ont fait mention du duc Wimar ou Waimer, en latin Wimarus, Waimerus ou Waymeres: M. Béraud dirait de ces au(1) Ad an. 670.

(2) Tom. 2, p. 226.

(3) Vie de saint Léger, au 2 octobre.

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