Page images
PDF
EPUB

l'ignorance, et remettront en lumière une foule de documents inédits, de chartes précieuses, de titres authentiques qui pourront servir utilement l'histoire locale, et, par suite, l'histoire générale du pays.

Déjà, ces conseils partis de si haut ont porté leurs fruits, et l'Académie a entendu récemment, de M. Nanquette, la monographie complète de l'église abbatiale de St-Nicaise, construite au plus beau temps du style ogival, sous la direction des deux plus grands maîtres du Moyen-Age, Hues Libergier et Robert de Coucy.

Contrairement à ses devanciers, qui négligèrent toujours les merveilles architecturales de l'élégante basilique pour se consacrer tout entiers à l'explication du célèbre pilier tremblant, l'auteur fait prompte justice de tous ces paradoxes à l'aide desquels on proclamait comme miraculeux un phénomène dont pouvait rendre compte la statique la plus élémentaire, et avec ce jugement si droit qui peut rendre physicien même un archéologue, il confirme l'opinion déjà émise par Pluche, que la grosse cloche, en vertu de son poids et de sa position vicieuse, imprimait aux tours un mouvement qui se transmettait surtout au pilier tremblant, parce qu'il était moins solidement fixé que les autres à la masse de l'édifice.

Il est bon de remarquer, d'après l'auteur, qu'anciennement le premier pilier était en possession du mouvement qui a illustré le troisième; que le second l'a eu à son tour, et que le troisième, enfin, a succédé aux deux autres. Le manuscrit cité par M. Nanquette ajoute qu'on fit cesser le tremblement du premier et du second pilier en les consolidant et en les reliant fortement à la voûte; le sieur Fleury, maître couvreur, empêcha également le troisième de trembler; mais au

passage de Louis XV, comme on voulait lui donner le spectacle du pilier tremblant, le sieur Fleury, qui l'avait fixé, en reçut de vives réprimandes et fut obligé de le désceller et de lui rendre la liberté de trembler.

Cette monographie devant faire partie des Annales, je me garderai bien d'en diminuer l'intérêt en en parlant davantage; j'ajouterai seulement qu'en entendant l'archéologue passionné, on croyait voir se redresser cet élégant portique et ces flèches aériennes qui défiaient la métropole; on s'indignait avec lui de ce vandalisme contre lequel la municipalité rémoise a protesté vainement; on s'associait enfin au vou par lequel il termine son œuvre, en demandant la résurrection de ce inonument, l'une des gloires de Reims, l'une des merveilles de l'art chrétien.

L'époque la plus obscure de l'histoire de la Champagne est celle où elle était administrée par ses ducs. M. E. Gallois, par de savantes et consciencieuses recherches présentées à l'Académie, a réuni tout ce que les sources originales pouvaient donner de renseignements sur cette question controversée. Trompé néanmoins par des documents incomplets, il avait méconnu ou rejeté plusieurs ducs. Le rapporteur, M. Bandeville, prouve par des témoignages contemporains l'existence du duc Vimar, ou plutôt Vaimar, contestée par M. Gallois, qui avait cherché ce personnage à une époque fausse. M. Bandeville rétablit aussi le duc Arnould, dont M. Gallois n'avait fait aucune mention, et relevant, avec cette science qu'on lui connaît, certaines erreurs de M. Beraud, auteur de l'Histoire des comtes de Champagne, il démontre comment elles ont causé une partie des inexactitudes de M. Gallois.

L'Académie a reçu en outre, de M. Bandeville, une dissertation profonde sur l'établissement du christianisme à Reims.

L'auteur combat surtout, dans ce travail, l'opinion née au VIIIe siècle, que l'église de Reims remontait au temps des apôtres, et à l'aide des plus anciens témoignages, il établit que la mission de nos premiers évêques a eu lieu seulement vers la fin du Ie siècle.

Au nombre des travaux historiques viennent se pla~ cer encore le projet de M. Pinon, sur l'érection d'une statue à notre concitoyen Colbert, cette gloire, l'une des plus pures du grand siècle.

Nous devons mentionner aussi, les biographies de De Perthes et de Germain, par M. Max-Sutaine; car de l'histoire particulière de chacun des artistes concitoyens, dérive sans contredit l'histoire générale des arts dans la cité. Il est toutefois un danger auquel succombent la plupart des biographes et qui, il faut l'avouer, enlève presque toute valeur à leurs travaux. C'est cette incontestable tendance à élever outre mesure les hommes dont ils veulent sauver le souvenir, et à faire de toutes pièces, après la mort, des génies qui furent souvent de très-humbles talents pendant leur vie. Hâtons-nous de le dire, les études biographiques de notre collègue ont toujours paru complètement à l'abri de ce reproche, particulièrement pour Germain dont les œuvres avaient souvent été louées avec une exagération qui rendait beaucoup plus difficile la tâche du critique.

Les vers se disent et ne s'analysent pas, malheureusement pour l'assemblée; aussi suis-je réduit à vous

énumérer sèchement comme l'an dernier, les titres seuls de nos poésies.

Nous rappellerons d'abord une pièce dont l'Académie n'a pas voulu prendre le sujet au sérieux, c'est-à-dire, les adieux d'un septuagénaire à ses muses, par M. Povillon-Piérard, à qui la poésie latine est aussi familière que la versification française;

Les conseils à une jeune fille, par M. A. Mathieu, de Paris;

Le mouton fabuliste, par M. Gobet;

Les chants du soir, par M. Pauffin, membre correspondant à qui l'Académie a voulu prouver toute sa sympathie en lui décernant aujourd'hui une médaille d'argent. Je devrais donner à l'appui de cette marque d'in térêt, le rapport de la commission sur les poésies de M. Chéry Pauffin: je préfère lire simplement une lettre adressée, il y a quelques jours, au poëte par M. Viç tor Hugo, qu'on soupçonnera moins de partialité.

« Je lis vos beaux vers, Monsieur, moi que le deuil accable et rend muet, et en échange des nobles strophes que vous m'adressez, je serais tenté de vous envoyer ce vers que j'écrivais autrefois :

ע

Après avoir chanté, j'écoute et je contemple.

«C'est votre tour maintenant ; vous êtes de la génération autour de laquelle rayonnent la vie et l'avenir. Allez, Monsieur, répandez la saine poésie, semez les nobles idées; expliquez la nature et l'homme par Dieu; expliquez Dieu par l'homme et par la nature : c'est là aujourd'hui la mission des poëtes; jamais elle ne fut plus grande; jamais elle ne fut plus utile.

«Vous avez un beau talent; ayez une belle destinée !

7 Mai 1844.

VICTOR HUGO. »

Je citerai encore l'épitre à l'Académie par M. Ernest Arnould;

Une ode tirée du cantique de Moïse, et une autre sur le jugement dernier, par M. Monnot des Angles ; De M. Clicquot, Le Vœu du poëte; les stances au comte d'Erlon; plusieurs odes traduites d'Horace, et la Neige et les Enfants;

De M. Galis, la Taupe au congrès des animaux, les Grenouilles voisines, l'Anon et le Loup, les Souhaits du renard, Lucas et son âne, la Femme et la Boite;

De M. Wagner, la Rose et le Pavot, les deux Epis, le Cochon et la Fourmi, la Pie et le Hibou, l'Eau bénite, l'Omelette au lard et la culotte de peau.

La savante Académie des Arcades reçoit les femmes au nombre de ses membres, mais, je me hâte de le dire, pour la poésie seule; l'Académie de Reims, tout en pensant comme les Arcadiens de Rome, que le culte des Muses est peut-être le seul genre littéraire propre à la femme, qui veut conserver intactes toutes les qualités spéciales à sa nature, n'aura jamais l'imprudent orgueil d'attirer dans son sein les Muses en personne ; mais elle accueillera toujours avec reconnaissance leurs inspirations, et dans son vif désir de les encourager, elle décerne aujourd'hui à mademoiselle Sophie Manéglier une médaille d'argent, pour les vers qu'elle lui a soumis, en attendant que grâce à quelque nouvelle Clémence Isaure, nous puissions, comme l'Académie des jeux floraux, offrir chaque année aux poëtes préférés l'églantine d'or ou le souci d'argent.

Comme transition naturelle de la poésie à la prose,

« PreviousContinue »