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leures leçons. Pour prix de son zèle, on obtenait alors, comme de nos jours, les faveurs, les richesses et les dignités. Les hommes de génie, chez les Romains (comme nous en pouvons juger dans beaucoup de choses), l'ont emporté sur tous ceux des autres nations. Combien donc n'a-t-on pas lieu d'être surpris, qu'après tant de siècles, parmi tant de peuples et de cités, il se soit rencontré si peu d'hommes éloquens? C'est que l'éloquence offre bien plus de difficultés qu'on ne le pense, ét qu'elle se composé d'une réunion parfaite de talens et de éonnaissances.

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V. Quelle autre cause, malgré cette foule immense de disciples et de maîtres, malgré la diversité infinie des sujets, et les récompenses les plus magnifiques, a pu s'opposer aux progrès de l'éloquence, si ce n'est son incroyable étendue et la difficulté d'y réussir? En effet, elle exige beaucoup de qualités sans lesquelles elle ne serait qu'un bavardage inutile et ridicule; son mérite dépend non-seulement du choix, mais aussi de l'arrangement des mots, de l'étude approfondie des passions multipliées que la nature a mises dans le cœur humain, de la force que l'orateur emploie pour les apaiser ou les exciter dans l'âme de ses auditeurs : ajoutez à ces moyens F'agrément et les charmes du style, la science du monde, la vivacité et la brièveté dans l'attaque et dans la défense, unis à l'adresse et à l'urbanité. Il faut aussi posséder l'histoire pour y puiser des exemples, et être versé dans la jurisprudence. Que

lepos quidam facetiæque, et eruditio libero digna, celeritasque et brevitas et respondendi et lacessendi, subtili venustate atque urbanitate conjuncta. Tenenda præterea est omnis antiquitas exemplorumque vis: neque legum, aut juris civilis scientia negligenda est. Nam quid ego de actione ipsa plura dicam? quæ motu corporis, quæ gestu, quæ vultu, quæ vocis conformatione ac varietate moderanda est: quæ sola per se ipsa quanta sit, histrionum levis ars et scena declarat: in qua cum omnes in oris, et vocis, et motus moderatione elaborent, quis ignorat, quam pauci sint, fuerintque, quos animo æquo spectare possimus? Quid dicam de thesauro rerum omnium, memoria? quæ nisi custos inventis cogitatisque rebus et verbis adhibeatur, intelligimus, omnia, etiamsi præclarissima fuerint in oratore, peritura. Quamobrem mirari desinamus, quæ causa sit eloquentium paucitatis, cum ex iis rebus universis eloquentia constet, quibus in singulis elaborare permagnum est, hortemurque potius liberos nostros, ceterosque, quorum gloria nobis et dignitas cara est, ut animo rei magnitudinem complectantur, neque iis aut præceptis, aut magistris, aut exercitationibus, quibus utuntur omnes, sed aliis quibusdam, se id, quod expetunt, consequi posse confidant.

VI. Ac.mea quidem sententia nemo poterit esse omni laude cumulatus orator, nisi erit omnium rerum magnarum atque artium scientiam consecutus. In oratore peritura.

ne dirais-je pas encore de l'action? Elle suppose les mouvemens du corps, le geste, le jeu de la physionomie, la voix et les inflexions variées, dont l'art théâtral nous fait sentir l'importance. Et quoique les acteurs s'appliquent à se former à la déclamation, combien il en est peu qui nous intéressent ou que nous ayons trouvés supportables? Que dirai-je de la mémoire, dépositaire des trésors de l'esprit ? Gardienne de nos pensées, de nos découvertes, de nos expressions, que seraient sans elle les talens les plus distingués de l'orateur? Cessons donc de nous étonner qu'il y ait si peu d'hommes éloquens, puisque l'éloquence exige une universalité de connaissances, dont chacune demande un très-grand travail; exhortons plutôt nos enfans et tous ceux dont la gloire et l'honneur nous touchent de près, à se pénétrer de l'importance et de l'éten-' due de cet art; disons-leur que, sans des moyens plus puissans' encore que les règles, les maîtres et l'exercice, ils ne peuvent espérer de parvenir au but qu'ils se proposent.

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VI. On ne saurait être, selon moi, un orateur accompli, sans' connaître tout ce qu'il y a de grand dans les arts et les sciences. Ces connaissances sont autant de richesses et de beautés qui doivent se retrouver dans le discours; sans quoi, dépourvu de

Etenim ex rerum cognitione efflorescat et redundet oportet oratio: quæ nisi subest, res nisi subest, res ab oratore percepta et cognita, inanem quandam habet elocutionem et pæne puerilem. Neque vero ego hoc tantum oneris imponam, nostris præsertim, oratoribus in hac tanta occupatione urbis, ac vitæ, nihil ut iis putem licere nescire quamquam vis oratoris, professioque ipsa bene dicendi, hoc suscipere ac polliceri videtur, ut omni de re, quæcunque sit proposita, ab eo ornate, copioseque dicatur. Sed quia non dubito, quin hoc plerisque immensum infinitumque videatur, et quod Græcos homines non solum ingenio et doctrina, sed etiam otio studioque abundantes, partitionem quandam artium fecisse video, neque in universo genere singulos elaborasse, sed seposuisse a ceteris dictionibus eam partem dicendi, quæ in forensibus disceptationibus judiciorum, aut deliberationum versaretur, et id unum genus oratori reliquisse; non complectar in his libris amplius, quam quod huic generi, re quæsita, et multum disputata, summorum hominum prope consensu est tributum : repetamque, non ab incunabulis nostræ veteris puerilisque doctrinæ quendam ordinem præceptorum, sed ea, quæ quondam accepi in nostrorum hominum, eloquentissimorum, et omni dignitate principum, disputatione esse versata: non quod illa contemnam, quæ Græci dicendi artifices et doctores reliquerunt; sed, cum illa pateant, in promtuque sint omnibus, neque ea interpretatione mea aut ornatius explicari, aut planius

solidité, le talent de l'orateur se réduirait à un babil inutile et puéril. Jé ne prétends pas cependant imposer à nos orateurs, distraits par tant d'affaires et de soins, l'obligation de ne rien ignorer, quoique, à dire vrai, la qualité d'orateur semble annoncer et promettre les moyens de discourir avec facilité et avec agrément sur un sujet donné. Mais je ne doute pas que la plupart trouveront cette carrière trop immense à parcourir, et, puisque les Grecs, qui avaient autant de loisir que de savoir et de génie, ont assigné des bornes aux différens arts, puisque, loin d'exiger qu'un seul hommé excellât dans chaque genre, ils ont tracé les limites qui séparent les arts de l'éloquencé, en laissant pour partage à l'orateur le barreau et les délibérations publiques ; je në m'écarterai point, dans ces dialogués, de ees limites, que les meilleurs esprits n'ont posées qu'après de mûres réflexions et de graves discussions. Je rapporterai, non pas cette suite de préceptes que nos maîtres nous ont donnés dans notre enfance, mais ce que m'ont appris sur l'art oratoire, les Romains les plus distingués par leur éloquence, par leûr rang et leurs vertus. Ce n'est pas que je méprise les Grecs ni la doctrine que les maîtres habiles nous ont transmise; cependant, comme leurs ouvrages sont connus de tout le monde, et que mes commentaires n'ajouteraient rien à la clarté ni au mérite de leurs écrits, j'espère, mon cher Quintus que vous me permettrez de préférer à l'autorité des Grecs cellé de nos plus célèbres orateurs.

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