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Que Phœbus à leur ton accorde sa vielle ;
Que la mouche du Grec leurs lèvres emmielle1;
Qu'ils ont seuls ici-bas trouvé la pie au nid,
Et que des hauts esprits le leur est le zénit;
Que seuls des grands secrets ils ont la connaissance .
Et disent librement que leur expérience

A raffiné les vers, fantastiques d'humeur,

Ainsi que les Gascons ont fait le point d'honneur;
Qu'eux tous seuls du bien dire ont trouvé la méthode,
Et que rien n'est parfait, s'il n'est fait à leur mode.
Cependant leur savoir ne s'étend seulement
Qu'à regratter un mot douteux au jugement,
Prendre garde qu'un qui ne heurte une diphthongue,
Épier si des vers la rime est brève ou longue,
Ou bien si la voyelle, à l'autre s'unissant,
Ne rend point à l'oreille un vers trop languissant,
Et laissent sur le vert le noble de l'ouvrage.
Nul aiguillon divin n'élève leur courage;
Ils rampent bassement, faibles d'inventions,
Et n'osent, peu hardis, tenter les fictions,
Froids à l'imaginer; car, s'ils font quelque chose,
C'est proser de la rime, et rimer de la prose,
Que l'art lime et relime, et polit de façon
Qu'elle rend à l'oreille un agréable son;
Et voyant qu'un beau feu leur cervelle n'embrase,
Ils attisent leurs mots, enjolivent leur phrase,
Affectent leur discours tout si relevé d'art,
Et peignent leurs défauts de couleur et de fard.
Aussi je les compare à ces femmes jolies,
Qui par les affiquets se rendent embellies,
Qui, gentes en habits, et sades en façons,
Parmi leur point coupé tendent leurs hameçons;
Dont l'œil rit mollement avec afféterie,

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1. Allusion à Pindare, sur les lèvres duquel on prétend que des abeilies allèrent se poser et faire leur miel.-2. Laissent de côté. — 3. Vieux mot qui signifie : jolies, agréables.

Et de qui le parler n'est rien que flatterie;
De rubans piolés s'agencent proprement,
Et toute leur beauté ne gît qu'en l'ornement;
Leur visage reluit de céruse et d'épeautre';
Propres en leur coiffure, un poil ne passe l'autre.

(Satires.)

. De deux couleurs, et semblables au plumage de la pie.-2. Plâtre.

MAYNARD.

MAYNARD (FRANÇOIS), président d'Aurillac, né en 1583 à Toulouse, mérite, selon Voltaire, d'être compté parmi ceux qui annoncèrent le siècle de Louis XIV. En effet, son style est châtié; sa versification est facile et harmonieuse. Malherbe, dont il fut le disciple, lui rendait ce témoignage, que personne ne savait mieux tourner des vers que iui.

Maynard s'était lié avec ce qu'il y avait de plus distingué dans les lettres, et se vit recherché des grands; mais sa fortune n'en devint pas meilleure, et ce fut pour lui un sujet inépuisable de plaintes qui finissent par fatiguer le lecteur.

Il mourut en 1646, ayant reçu quelque temps avant sa mort un brevet de conseiller d'État.

Sonnet à Faret'.

Je donne à mon désert les restes de ma vie,
Pour ne dépendre plus que du ciel et de moi.
Le temps et la raison m'ont fait perdre l'envie
D'encenser la faveur et de suivre le roi.

Faret, je suis le roi des bois où je demeure,
J'y trouve la santé de l'esprit et du corps.
Approuve ma retraite ; et permets que je meure
Dans le même village où mes pères sont morts.

J'ai fréquenté la cour où ton conseil m'appelle;
Et sous le grand Henri je la trouvai si belle,
Que ce fut à regret que je lui dis adieu.

Mais les ans m'ont changé; le monde m'importune,
Et j'aurais de la peine à vivre dans un lieu
Où toujours la vertu se plaint de la fortune.

1. Poëte dont Boileau a parlé.

Sur la misère des poëtes.

Je touche de mon pied le bord de l'autre monde,
L'âge m'ôte le goût, la force et le sommeil;

Et l'on verra bientôt naître du sein de l'onde
La première clarté de mon dernier soleil.

Muses, je m'en vais dire au fantôme d'Auguste
Que sa rare bonté n'a plus d'imitateurs ;

Et que l'esprit des grands fait gloire d'être injuste
Aux belles passions de vos adorateurs.

Voulez-vous bien traiter ces fameux solitaires
A qui vos déités découvrent leurs mystères ?
Ne leur promettez plus des biens ni des emplois.

On met votre science au rang des choses vaines;
Et ceux qui veulent plaire aux favoris des rois,
Arrachent vos lauriers et troublent vos fontaines.

Sonnet satirique.

Sillon, je suis adorateur
De votre belle académie 2,
Et voudrais que son fondateur
L'eût solidement affermie.

Je crois qu'elle durera peu,
Puisque le cheval3 qui fit naître
L'eau d'où les vers tirent leur feu,
N'y trouve pas de quoi repaître.

4. M. de Sillon, l'un des premiers académiciens.

2. L'Académie

française, fondée par Richelieu. -3. Pégase, qui d'un coup de pied, fit

jaillir la source d'Hippocrène.

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4. Ces sonnets de Maynard sont irréguliers, puisque les quatrains ne sont pas sur les mêmes rimes.-2. L'on dit.

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