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Sacrés par le talent, plus saints par le malheur,
Que de titres unis pour désarmer sa haine !
Mais, tant que sur les bords embellis par la Seine
Des charmes du langage on sentira le prix;
Tant que d'un art divin les deux mondes épris,
Offrant un libre hommage aux muses de la France,
De nos chantres fameux chériront l'élégance,
L'avenir sifflera Nonnote, Sabatier,

Desfontaines, Fréron, Clément, Trublet, Berthier,
Et tout ce noir essaim d'immortelles victimes
Que le malin Voltaire enchaînait dans ses rimes.
Il fut persécuté, même au fond du tombeau :
Mais qui peut du génie éteindre le flambeau ?
Plus fort qu'ingénieux, moins plaisant que caustique,
Gilbert, de Juvénal émule fanatique,

Du plus sot Mahomet Séide infortuné,
Expira jeune encore et trop tôt moissonné.
Sa muse audacieuse, aux luttes aguerrie,
Semble être d'Apollon la prêtresse en furie,
Terrible, et s'agitant sur le trépied sacré,
Aux approches du dieu par ses cris imploré.
Trop heureux si toujours à la raison docile,
Laissant à la colère un accès moins facile,
Et des siècles futurs prévenant les arrêts,
Il n'eût d'un fiel dévot empoisonné ses traits!
Mais souvent dans ses vers, pleins d'un affreux courage,
L'outrage est un éloge, et l'éloge un outrage.
Après avoir vanté Baculard et Fréron,

Il crut de d'Alembert étouffer le renom;
Il voulut renverser de sa main trop hardie
Le portique imposant de l'Encyclopédie.
Du ton de Bossuet Descartes célébré,
L'éloge d'Antonin par lui-même inspiré,
Du chantre des Saisons l'élégante harmonie,
Et les pleurs éloquents que verse Mélanie,
Rien n'a pu de Gilbert désarmer les dégoûts.

De Voltaire lui-même osant être jaloux,
Jeune homme, il attaqua sa gloire octogénaire.
Qui vanta Baculard dut décrier Voltaire.
Il prétendit flétrir d'un souffle criminel

Les palmes qui couvraient le vieillard solennel;
Mais OEdipe et Brutus, mais Tancrède et Zaïre,
Mérope, Mahomet, Sémiramis, Alzire,
Accablèrent bientôt de leur poids glorieux
Le Titan révolté luttant contre les dieux.
Le Parnasse français voyait ternir son lustre;
Mais, dans nos derniers temps, déclin d'un âge illustre,
La satire eut encor quelques adorateurs,

Des demi-dieux du Pinde heureux imitateurs.

Essai sur la satire.)

LEMERCIER.

LEMERCIER (NÉPOMUCÈNE-LOUIS), né en 1770 à Paris, fit représenter, en 1797, sa tragédie d'Agamemnon, qui est restée son chefd'œuvre. Depuis, il a publié beaucoup d'autres tragédies qui n'ont pas eu de succès. Mais sa comédie historique de Pinto mérite une mention toute particulière, tant parce que ce fut une innovation véritable sur notre théâtre, que parce qu'elle est fort bien conduite et parfaitement écrite; Lemercier a fait aussi plusieurs poëmes du genre épique, sur lesquels on peut consulter l'Histoire de la poésie française à l'époque impériale.

Enfin il a fait à l'Athénée royal un Cours analytique de littérature où il a établi, ce qu'on n'attendait peut-être pas de lui, des règles de composition et de style extrêmement sévères et ultra-classiques, si l'on peut employer ce terme. Ces leçons déterminèrent l'Académie française à admettre Lemercier dans son sein en 1811. Du moins le président Merlin (de Douai) lui dit formellement, dans la réponse qu'il fit à son discours de réception, que s'il n'avait pas solennellement professé une doctrine réparatrice de l'exemple qu'il avait donné, l'Académie lui serait restée fermée, malgré ses titres littéraires.

Lemercier est aujourd'hui regardé comme un des génies les plus originaux du commencement de ce siècle. Malheureusement l'art de la composition et du style lui a trop souvent manqué pour qu'on le puisse mettre au premier rang de nos poëtes.

Il est mort en 1840.

Apparition du spectre de Thyeste à Ægiste.

Thyeste! tu verras Agamemnon puni,
Qu'Oreste même expire à ses destins uni!
Chère ombre, apaise-toi! calmez-vous Euménides!
Vous avez au berceau proscrit les Pélopides:
Oreste n'est-il pas l'héritier de son rang?
Périssent lui, son fils, Electre, et tout son sang!
Ils mourront sous ce fer, que l'exécrable Atrée
Remit dès mon enfance à ma main égarée,
Lorsqu'un affreux serment, de ma bouche obtenu,

M'arma contre Thyeste, à moi-même inconnu.
Un dieu seul me ravit à ce noir parricide.

O mon père!... pourquoi ton spectre errant, livide,
Assiége-t-il mes pas? Il me parle, il me suit,
Sous ce même portique, au milieu de la nuit.
Ne crois pas qu'une erreur, dans le sommeil tracée,
De sa confuse image ait troublé ma pensée :
Je veillais sous ses murs, où de son souvenir
Ma douleur recueillie osait s'entretenir;
Le calme qui régnait à cette heure tranquille
Environnait d'effroi ce solitaire asile;

Mes regards sans objet dans l'ombre étaient fixés
Il vint, il m'apparut, les cheveux hérissés;
Påle, offrant de son sein la cicatrice horrible;
Dans l'une de ses mains brille un acier terrible,
L'autre tient une coupe.... ô spectacle odieux!
Souillée encor d'un sang tout fumant à mes yeux.
L'air farouche, et la lèvre à ses bords abreuvée;

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Prends, dit-il, cette épée à ton bras réservée; Voici, voici la coupe où mon frère abhorré Me présenta le sang de mon fils massacré; Fais-y couler le sien que proscrit ma colère, Et qu'à longs traits encor ma soif s'y désaltère, » Il recule à ses mots, me montrant de la main Le Tartare profond, dont il suit le chemin. Le dirai-je? sa voix, perçant la nuit obscure, Ce geste, et cette coupe, et sa large blessure, Ce front décoloré, ses adieux menaçants.... J'ignore quel prestige égara tous mes sens.... Entraîné sur ses pas vers ces demeures sombres, Gouffre immense où gémit le peuple errant des ombres, Vivant, je crus descendre au noir séjour des morts. Là, jurant et le Styx et les dieux de ces bords, Et les monstres hideux de ces rives fatales, Je vis à la pâleur des torches infernales, Les trois sœurs de l'enfer irriter leurs serpents,

Le rire d'Alecton accueillir mes serments;
Thyeste les reçut, me tendit son épée,

Et je m'en saisissais, quand à ma main trompée
Le vain spectre échappa poussant d'horribles cris.
Je fuyais.... Je ne sais à mes faibles esprits
Quelle flatteuse erreur présenta sa chimère.
Il me sembla monter au trône de mon père;
Que, de sa pourpre auguste héritier glorieux,
Tout un peuple en mon nom brûlait l'encens des dieux;
Je vis la Grèce entière à mon joug enchaînée,
La reine me guidant aux autels d'hyménée,
Et mes fiers ennemis, consternés et tremblants,
Abjurer à mes pieds leurs mépris insolents.

(Agamennon.)

Prophéties de Cassandre.

AGAMEMNON.

Mais je revois Strophus et Cassandre avec lui.

CASSANDRE.

Qui me rappelle au jour? qui me ravit encore
A l'éternelle nuit que ma douleur implore?

Ne puis-je attendre en paix l'instant de mon trépas?
Prince, que me veut-on? où conduis-tu mes pas?

AGAMEMNON.

Devant Agamemnon qui confie à la reine
Le soin de soulager ta misère et ta chaîne.
Son joug, comme le mien, facile à supporter,
N'aura pas de rigueurs qui soient à redouter;
De ton sort à jamais elle devient maîtresse.

CASSANDRE.

Apollon! prends pitié de ta triste prêtresse!
Dieux! iustes dieux!

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