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Bondeau.

Le bel esprit, au siècle de Marot,
Des dons du ciel passait pour le gros lot;
Des grands seigneurs il donnait accointance,
Menait parfois à noble jouissance,

Et, qui plus est, faisait bouillir le pot.

Or est passé ce temps où, d'un bon mot,
Stance ou dizain, on payait son écot;
Plus n'en voyons qui prennent pour finance
Le bel esprit.

A prix d'argent, l'auteur comme le sot
Boit sa chopine et mange son gigot;
Heureux encor d'en avoir suffisance!

Maints ont le chef plus rempli que la panse :
Dame ignorance a fait enfin capot
Le bel esprit.

Ballade sur le mariage.

Dans ce hameau je vois de toutes parts
De beaux atours mainte fillette ornée :
Je gagerais que quelque jeune gars
Avec Rosette unit sa destinée.

Elle a l'œil doux, elle a les traits mignards,
L'air gracieux, l'humeur point obstinée,
Mais grand défaut gâte tous ses attraits;
Point n'a d'écus: pour belle qu'on soit née,
L'Amour languit sans Bacchus et Cérès.

De doux propos et d'amoureux regards
On ne saurait vivre toute l'année.
Jeunes maris deviennent tôt vieillards,
Quand leur convient jeûner chaque journée.

Soucis pressants chassent pensers gaillards;
Tendresse alors est en bref terminée;
S'il en paraît, ce n'est qu'ad honores1.
Par maints grands clercs l'affaire examinée,
L'Amour languit sans Bacchus et Cérès.

L'âtre entouré d'un tas d'enfants criards,
De créanciers la porte environnée,
D'un triste hymen tous les autres hasards,
Font endurer peine d'âme damnée,
Et donnent joie aux voisins babillards.
Myrtes dont fut la tête couronnée
Voir on voudrait transformer en cyprès.
D'un tel désir point ne suis étonnée;
L'Amour languit sans Bacchus et Cérès.

ENVOI.

Vous qui d'Amour suivez les étendards,
Point ne croyez cauteleux papelards'
Disant « Beauté suffit pour l'hyménée. »
:

Si vous voulez en tout faire flores3,
Qu'avec beauté grosse dot soit donnée :
L'Amour languit sans Bacchus et Cérès.

1. Pour la forme. - 2. Ne croyez pas ces flatteurs. heureux, à votre aise.

-3. Etre toujours

QUINAULT.

QUINAULT (PHILIPPE) naquit à Paris le 3 juin 1635, l'année même de la fondation de l'Académie française. Tristan l'Hermite, auteur d'une tragédie de Marianne, le prit en affection, et cultiva les heureuses dispositions qu'il avait reçues de la nature. En 1653, Quinault donna au théâtre une comédie intitulée les Rivales; il n'avait alors que dix-huit ans. Toutes les pièces qu'il fit représenter après cet essai, comédies et tragédies, obtinrent un succès prodigieux; jamais poëte ne trouva le public aussi constamment favorable; tout ce qui tombait de sa plume était accueilli avec enthousiasme; mais aujourd'hui comédies et tragédies, tout est oublié, à l'exception de la Mère coquette, restée au répertoire. C'était dans le drame lyrique qu'il était réservé à Quinault de produire des œuvres durables et d'immortaliser son nom. Les opéras d'Alceste, d'Atys, de Proserpine, de Roland et d'Armide vivront autant que notre langue, et seront toujours comptés au nombre des chefs-d'œuvre du siècle de Louis XIV.

Quinault, qui était entré à l'Académie française en 1670, mourut le 20 novembre 1688.

Les géants vaincus.

Les efforts d'un géant qu'on croyait accablé
Ont fait encor gémir le ciel, la terre et l'onde:
Mon empire s'en est troublé;

Jusqu'au centre du monde,

Mon trône en a tremblé.

L'affreux Typhon, avec sa vaine rage,
Trébuche enfin dans des gouffres sans fonds.
L'éclat du jour ne s'ouvre aucun passage
Pour pénétrer les royaumes profonds

Qui me sont échus en partage.

Le ciel ne craindra plus que ses fiers ennemis
Se relèvent jamais de leur chute mortelle;
Et du monde ébranlé par leur fureur rebelle
Les fondements sont raffermis.

Je puis faire goûter une paix éternelle

Aux peuples souterrains que le sort m'a soumis.

(Proserpine.)

Méduse.

J'ai perdu la beauté qui me rendit si vaine :
Je n'ai plus ces cheveux si beaux

Dont autrefois le dieu des eaux
Sentit lier son cœur d'une si douce chaîne.
Pallas, la barbare Pallas,

Fut jalouse de mes appas,

Et me rendit affreuse autant que j'étais belle;
Mais l'excès étonnant de la difformité
Dont me punit sa cruauté

Fera connaître, en dépit d'elle,

Quel fut l'excès de ma beauté.

Je ne puis trop montrer sa vengeance cruelle;
Ma tête est fière encor d'avoir pour ornement
Des serpents dont le sifflement

Excite une frayeur mortelle.

Je porte l'épouvante et la mort en tous lieux;
Tout se change en rocher à mon aspect horrible,
Les traits que Jupiter lance du haut des cieux
N'ont rien de si terrible

Qu'un regard de mes yeux.

Les plus grands dieux du ciel, de la terre et de l'onde,
Du soin de se venger se reposent sur moi.

Si je perds la douceur d'être l'amour du monde,
J'ai le plaisir nouveau d'en devenir l'effroi.

(Persée.)

Armide s'irrite contre le destin qui protégé Renaud.

Les enfers ont prédit cent fois

Quecontre ce guerrier nos armes seront vaines.

Et qu'il vaincra nos plus grands rois.

Ah! qu'il me serait doux de l'accabler de chaînes,
Et d'arrêter le cours de ses exploits!
Que je le hais; que son mépris m'outrage!
Qu'il sera fier d'éviter l'esclavage

Où je tiens tant d'autres héros!

Incessamment son importune image
Malgré moi trouble mon repos.

Un songe affreux m'inspire une fureur nouvelle
Contre ce funeste ennemi.

J'ai cru le voir, j'en ai frémi;

J'ai cru qu'il me frappait d'une atteinte mortelle.
Je suis tombée aux pieds de ce cruel vainqueur :
Rien ne fléchissait sa rigueur,

Et par un charme inconcevable,

Je me sentais contrainte à le trouver aimable,
Dans le fatal moment qu'il me perçait le cœur.

(Armide.)

Armide trouve Renaud endormi et ne peut se résoudre

à le tuer.

Enfin il est en ma puissance,

Ce fatal ennemi, ce superbe vainqueur.

Le charme du sommeil le livre à ma vengeance,
Je vais percer son invincible cœur!

Par lui tous mes captifs sont sortis d'esclavage:
Qu'il éprouve toute ma rage!

Quel trouble me saisit; qui me fait hésiter?
Qu'est-ce qu'en sa faveur la pitié me veut dire?
Frappons!... Ciel! qui peut m'arrêter?
Achevons.... je frémis! vengeons-nous.... je soupire!
Est-ce ainsi que je dois me venger aujourd'hui?
Ma colère s'éteint quand j'approche de lui :

Plus je le vois, plus ma fureur est vaine;
Mon bras tremblant se refuse à ma haine.

(Armide.)

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