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Illyrie? Ce rival, quel qu'il soit, a-t-il à tes yeux tant de valeur que tu veuilles sans moi t'exposer à tous les vents? Vas-tu donc avoir la force d'entendre les grondements d'une mer agitée et de coucher sur le dur plancher d'un vaisseau ? Avec tes pieds si tendres fouleras-tu les glaces, braveras-tu,Cynthie..les neiges que tu n'as jamais connues? Oh! puisse le ciel doubler le temps de l'hiver et de ses frimas, prolonger l'inaction du nautonier en retardant les Pléïades, enchainer ta poupe au rivage tyrrhénien et empêcher un vent maudit d'emporter tous mes vœux ! Puisséje ne point voir s'élever ce vent qui permettrait aux ondes d'entraîner ton navire, me laissant désolé sur la plage déserte, où, dans mon courroux, de la voix et du geste, mille et mille fois je t'appellerais cruelle !

Cependant, ô parjure, si mal que tu te conduises envers moi, que Galatée 3 protège ton voyage et qu'à travers une mer bien calme tes rameurs te portent heureusement dans les eaux du port d'Orique. Car aucun amour ne pourra me rendre infidèle'; j'irai, chère âme, gémir au seuil de ta porte; je ne me lasserai pas d'interroger les nautoniers à leur arrivée : << Dites-moi en quel port est arrêtée celle qui est à moi. » Et j'ajouterai : « Qu'elle soit aux rivages d'Atrax, à ceux de l'Élide, elle me sera rendue celle qui

est à moi ! »

CCXCV
(Tom. II, p. 534.)

Elle doit rester ici; elle l'a juré, elle reste; que mes ennemis en meurent de dépit; victoire! elle n'a pu résister à l'instance de mes prières. L'envie livide peut laisser sa joie prématurée, ma Cynthie a renoncé au voyage qu'elle pro

(3) Cette nymphe de la mer était mère d'Illyrus qui avait donné son nom à l'Illyrie; c'est donc à ce propos que le poète l'invoque ici.

(4) D'autres traduisent : « ton infidélité même ne pourra me rendre infidéle..

Illi carus ego et per me carissima Roma
Dicitur; et sine me dulcia regna negat.
Illa vel angusto mecum requiescere lecto
Et quocumque modo maluit esse mea,
Quam sibi dotatæ regnum vetus Hippodamiæ,
Et quas Elis opes ante pararat equis.
Quamvis magna daret, quamvis majora daturus,
Non tamen illa meos fugit avara sinus.
Hanc ego non auro, non Indis flectere conchis,
Sed potui blandi carminis obsequio.

Sunt igitur Musæ neque amanti tardus Apollo.
Quis ego fretus amo: Cynthia rara mea est.
Nunc mihi summa licet contingere sidera plantis:
Sive dies seu nox venerit, illa mea est,

Nec mihi rivalis certos subducit amores.

Ista meam norit gloria canitiem!

Prop., 1, 8, v. 27-46.

CCXCVI

A Tullus. Toutes les richesses du monde ne sont rien auprès des délices d'un amour heureux.

Tu licet abjectus Tiberina molliter unda,
Lesbia Mentoreo vina bibas opere;
Et modo tam celeres mireris currere lintres,
Et modo tam tardas funibus ire rates;
Et nemus omne satas intendat vertice silvas,
Urgetur quantis Caucasus arboribus;

Non tamen ista meo valeant contendere amori;
Nescit Amor magnis cedere divitiis.

Nam sive optatam mecum trahit illa quietem,
Seu facili totum ducit amore diem,

(1) Pline (Hist. Nat, XXXIII, 53) nous apprend que Crassus avait acheté au prix de cent sesterces deux coupes ciselées par cet habile sculpteur.

jetait. Elle m'aime; c'est moi, dit-elle, qui pour elle donne à Rome son plus grand charme, et elle affirme que, sans moi, à ses yeux un trône n'en aurait point. Reposer avec moi sur une couche modeste et m'appartenir, quoi qu'il arrive, voilà ce qu'elle a préféré à l'antique royaume que reçut en dot Hippodamie, aux trésors que l'Élide s'est acquis par ses courses. Un autre lui offrait de riches présents, lui en eût donné de plus magnifiques encore; malgré tout, elle n'a pas voulu, comme l'eût fait une avare, fuir de mes bras. Je n'avais ni or, ni perles de l'Inde pour la fléchir; mais j'avais la caressante flatterie de mes vers. Les Muses et Apollon ne refusent donc pas leur secours à un amant. C'est avec leur appui que j'aime l'incomparable Cynthie est à moi. Et maintenant je puis fouler aux pieds les astres les plus hauts; vienne le jour, vienne la nuit, elle est à moi, mes amours n'ont plus rien à craindre d'un rival, un tel triomphe fera la gloire de ma vieillesse ellemême.

CCXCVI

(Tom. II, p. 537.)

Tu peux, ó Tullus, voluptueusement étendu sur la rive du Tibre, boire les vins de Lesbos dans une coupe de Mentor; tu te plais à suivre de l'œil, tantòt les barques légères qui volent sur les eaux, tantôt les vaisseaux que tirent lentement les cordages; tu jouis de tout ce bois dont les arbres plantés sur le sommet de la colline ne sont pas moins nombreux que ceux qui recouvrent le Caucase. Tant de délices cependant ne sont rien auprès de mon amour; l'amour l'emporte sur les plus grandes richesses. Que Cynthie, selon mes vœux, passe une nuit avec moi; qu'elle accorde un jour entier à ma tendresse, alors coulent à mes pieds les ondes du Pactole et je vois à moi toutes les perles de la mer d'Arabie; alors ma félicité me donne la conviction que

Tum mihi Pactoli veniunt sub tecta liquores,
Et legitur rubris gemma sub æquoribus;
Tum mihi cessuros spondet mea gaudia reges;
Quæ maneant, dum me fata perire volent.
Prop., I, 14, v. 1-4.

CCXCVII

Plaintes prononcées devant la porte fermée de Cynthie.

Janua, vel domina penitus crudelior ipsa,

Quid mihi tam duris clausa taces foribus?
Cur numquam reserata meos admittis amores?
Nescia furtivas reddere mota preces?
Nullane finis erit nostro concessa dolori,

Tristis et in tepido limine somnus erit?
Me mediæ noctes, me sidera prona jacentem,
Frigidaque Eoo me dolet aura gelu.
Tu sola humanos numquam miserata dolores
Respondes tacitis mutua cardinibus.
O utinam trajecta cava mea vocula rima
Percussas dominæ vertat in auriculas!
Sit licet et saxo patientior illa Sicano,
Sit licet et ferro durior et chalybe,
Non tamen illa suos poterit compescere ocellos,
Surget et invitis spiritus in lacrymis.

Nunc jacet alterius felici nixa lacerto:

At mea nocturno verba cadunt Zephyro.
Sed tu sola mei, tu maxima causa doloris,
Victa meis numquam, janua, muneribus.
Te non ulla meæ læsit petulantia linguæ,
Quæ solet ingrato dicere torva loco',
Ut me tam longa raucum patiare querela
Sollicitas trivio pervigilare moras.

(1) Leçon de Heinsius, Lachmann et Lemaire. Beaucoup de mss. donnent: quæ soletirato diceretuta loco ou tota loca; Scaliger: quæ solet iratus dicere trita loco; Kuinoel: quæ solet ingrato dicere turba joco.

je suis au-dessus des rois. Puisse-t-elle durer jusqu'au terme fixé par le destin à ma vie !

CCXCVII

(Tom. II, p. 539.)

O porte, plus cruelle même que ta maîtresse, pourquoi silencieuse me restes-tu si durement fermée? Pourquoi ne jamais t'ouvrir pour laisser passer mes amours et, dans ton immobilité, ne point permettre l'entrée furtive de mes prières ? N'y aura-t-il donc pas de terme à ma douleur? Et dans un triste sommeil me faudra-t-il encore réchauffer ton seuil? La nuit au milieu de son cours, les étoiles à leur déclin et le souffle glacé de l'aurore, qui m'y trouvent gîsant, me prennent en pitié. Toi seule, toujours insensible aux tourments d'un malheureux, tu ne me réponds jamais que par le silence de tes gonds. Ah! si seulement ma faible voix, passant par une fente légère, parvenait à frapper les charmantes oreilles de ta maîtresse ! Bien qu'elle soit plus résistante qu'un rocher de Sicile, bien que son cœur ait plus de dureté que le fer et l'acier, elle ne pourrait retenir ses larmes et, malgré elle, en les versant, elle soupirerait profondément. A cette heure hélas! elle repose appuyée sur le bras d'un autre, qui est bien heureux, et mes plaintes à moi sont emportées par le zéphyr de la nuit. Mais tu es l'unique, la grande cause de mon supplice, ô porte, que mes offrandes n'ont jamais pu fléchir. Je ne t'ai blessée cependant par aucun de ces outrages auxquels une langue licencieuse se laisse aller d'ordinaire en mauvais lieu, pour que tu me laisses m'enrouer en longs gémissements et me morfondre toute la nuit dans un carrefour. Souvent, au contraire, je t'ai adressé des chants d'une composition nouvelle ; j'ai laissé sur tes marches les traces de mes baisers. Et que de fois, tourné vers ton seuil, ingrate, ne t'ai-je point,

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