Page images
PDF
EPUB

que le sort a dotés du ténébreux empire. Il sera temps pour moi de connaître les champs élyséens, la barque du Léthé et les lacs cimmériens, quand sur mon front pâli seront gravées les rides de l'âge et que, bien vieux, je conterai aux enfants les faits du temps passé. Ah! plaise aux dieux qu'elle soit vaine la terreur que m'inspire cette fièvre brûlante! Mais voici quinze jours qu'elle me consume les membres.

Vous cependant, vous célébrez les divinités des eaux de l'Etrurie, et, de vos bras avec souplesse, vous fendez l'onde obéissante. Vivez heureux, vivez et gardez mon souvenir, soit que je survive, soit que le destin veuille que je ne sois plus. En attendant, promettez à Pluton des brebis noires et des libations de vin mêlé au lait blanc comme la neige.

CCLXXXVIII

(Tom. II, p. 485.)

Nul ne possède mieux que toi les ressources de l'art militaire, ne sait mieux où il convient de tracer les fossés qui protègent un camp, de planter les pieux qui s'opposeront à l'ennemi, et en quels lieux il vaut mieux établir l'enceinte d'un retranchement, de telle sorte qu'on y ait une eau rafraichissante jaillissant de terre, que l'accès en soit facile à tes troupes et difficile à l'ennemi et que tes soldats puissent y entretenir leur vigueur dans des concours d'adresse continuels. C'est là qu'ils s'exercent à qui lancera le mieux soit le pieu pesant, soit la flèche légère, ou frappera le but avec le lourd javelot; à qui sera le plus habile à mener un cheval pour arrêter sa fougue en serrant le frein, pour exciter son ardeur en lui lâchant la bride, et tour à tour pour diriger sa course en ligne droite et lui faire décrire un cercle dans un espace étroit; à qui saura avec le bouclier parer, soit à droite, soit à gauche, les coups portés par la lourde javeline, ou bien toucher avec la fronde rapide les points désignés. Viennent bientôt les luttes péril

Tum tibi non desit faciem componere pugnæ,
Seu sit opus quadratum acies consistat in agmen,
Rectus ut æquatis decurrat frontibus ordo,
Seu libeat duplicem sejunctim cernere Martem,
Dexter uti lævum teneat dextrumque sinister
Miles sitque duplex gemini victoria casus.
At non per dubias errant mea carmina laudes:
Nam bellis experta cano. Testis mihi victæ
Fortis Iapydiæ miles, testis quoque fallax
Pannonius, gelidas passim disjectus in Alpes,
Testis Arupinis et pauper natus in arvis1.

Tibul., (3), IV, 1, v. 82-110.

CCLXXXIX

Beauté de Sulpicia.

Sulpicia est tibi culta tuis, Mars magne, kalendis:
Spectatum e cælo, si sapis, ipse veni;

Hoc Venus ignoscet: at tu, violente, caveto
Ne tibi miranti turpiter arma cadant.
Illius ex oculis, cum vult exurere divos,

Accendit geminas lampadas acer Amor;
Illam quidquid agit, quoque vestigia movit,
Componit furtim subsequiturque Decor;
Seu solvit crines, fusis decet esse capillis:
Seu compsit, comptis est veneranda comis;
Urit, seu Tyria voluit procedere palla:
Urit, seu nivea candida veste venit.
Talis in æterno felix Vertumnus Olympo
Mille habet ornatus, mille decenter habet.
Sola puellarum digna est, cui mollia caris
Vellera det sucis bis madefacta Tyros,
Possideatque, metit quidquid bene olentibus arvis
Cultor odoratæ dives Arabs segetis,

(1) Var. Arupinas et pauper natus in armis.

leuses de Mars: les armées, enseignes déployées, s'apprêtent à se heurter; alors tu sais dresser ton plan de bataille, soit qu'il faille former tes troupes en carré, afin que sur chaque côté elles présentent un front égal en ligne droite, soit que tu veuilles engager séparément une double action en opposant ta droite à la gauche de l'ennemi et ta gauche à sa droite, pour remporter des deux côtés à la fois une double victoire. Et ma Muse n'erre pas au hasard dans ses louanges; je ne chante que des mérites qu'ont prouvés tes guerres. J'en atteste la défaite des valeureux soldats de l'Iapydie ;j'en atteste celle aussi des Pannoniens rusés, dispersés sur les Alpes glacées, et celle des pauvres habitants des champs d'Arupinum.

CCLXXXIX

(Tom. II, p. 489.)

Sulpicia s'est parée en ton honneur, Mars puissant, le jour de tes calendes. Pour la voir, si tu as du goût, descends du ciel; Vénus te le pardonnera, mais, dieu farouche, prends garde, dans ta vive admiration, de laisser tomber honteusement tes armes. C'est aux yeux de Sulpicia que le cruel Amour, quand il veut enflammer les dieux, allume une double torche. La Grâce compose en secret tous ses gestes, tous ses mouvements, et s'attache à ses pas. Dénoue-t-elle sa chevelure, ses cheveux épars lui vont bien; les arranget-elle, sa coiffure la rend adorable. On brûle pour elle quand elle s'avance en longue robe dans l'éclat de la pourpre de Tyr; on brûle quand elle arrive en petite tunique blanche comme la neige. Tel, dans le séjour des immortels, l'heureux Vertumne change mille fois de parure et chaque fois paraît plus beau. Seule entre les jeunes beautés elle est faite pour recevoir de Tyr les tissus moelleux deux fois teints de sucs précieux, pour posséder et tous les parfums que l'Arabe, riche en récoltes odorantes, recueille dans ses plaines embaumées, et toutes les perles que, sur ses rives brûlantes, pêche le noir Indien si voisin

Et quascumque niger rubro de litore gemmas
Proximus Eois colligit Indus aquis.
Hanc vos, Pierides, festis cantate kalendis,

Et testudinea, Phoebe, superbe lyra;

Hoc solemne sacrum multos hæc sumat in annos;

Dignior est vestro nulla puella choro.

Tibul., IV, 2.

CCXC

Sulpicia se plaint de la passion de Cérinthe pour la chasse. Parce meo juveni, seu quis bona pascua campi, Seu colis umbrosi devia montis, aper; Nec tibi sit duros acuisse in prælia dentes: Incolumem custos hunc mihi servet Amor. Sed procul abducit venandi Delia cura : O pereant silvæ, deficiantque canes! Quis furor est, quæ mens, densos indagine colles Claudentem, teneras lædere velle manus? Quidve juvat furtim latebras intrare ferarum, Candidaque hamatis crura notare rubis? Sed tamen, ut tecum liceat, Cerinthe, vagari, Ipsa ego per montes retia torta feram, Ipsa ego velocis quæram vestigia cervi, Et demam celeri ferrea vincta cani!.....

CCXCI

Tibul., IV, 3, v. 1-14.

Billet de Sulpicia malade à Cérinthe.
Estne tibi, Cerinthe, tuæ pia cura puellæ,
Dum1 mea nunc vexat corpora fessa calor?
Ah! ego non aliter tristes evincere morbos
Optarim, quam te si quoque velle putem ;
Nam mihi quid prosit morbos evincere, cum tu
Nostra potes lento pectore ferre mala ?

Tibul., Sulpicia, IV, 11.

(1) Var. Quod.

des eaux de l'Orient. Muses, chantez-la, dans cette fête des calendes, et toi aussi, Phébus, dont la lyre d'écaille fait l'orgueil. Qu'ainsi ce jour solennel soit célébré pendant une longue suite d'années! Il n'est point de beauté plus digne de l'harmonie de vos chants.

CCXC

(Tom. II, p. 490.)

Épargne mon jeune amant, sanglier qui fréquentes et les gras pâturages de la plaine et les réduits ombragés de la montagne. N'aiguise pas pour le combattre tes dents meurtrières; que l'Amour, en veillant sur lui, me le conserve sain et sauf. Mais loin de moi Diane l'entraîne par le goût de la chasse. Ah! périssent les forêts et les chiens! Quelle fureur, quelle démence de vouloir entourer de filets les taillis épais pour y déchirer des mains délicates! Quel plaisir y a-t-il à pénétrer furtivement dans les repaires des bêtes fauves, à imprimer sur une peau blanche les marques des ronces qui déchirent? Cependant, pour être avec toi, ô Cérinthe, dans tes courses, moi-même je porterais tes filets de montagne en montagne, moi-même je chercherais les traces du cerf léger et j'ôterais au chien la chaîne qui retient so nardeur !

CCXCI
(Tom. II, p. 491.)

Prends-tu, Cérinthe, un tendre intérêt à la santé de ton amante tandis qu'une fièvre brûlante dévore ses membres affaiblis? Ah! je ne puis vouloir triompher de ce mal cruel qu'autant que je croirai que toi aussi tu le souhaites. Car à quoi me servirait d'en triompher si tu peux avec indifférence considérer ma souffrance?

(2) Var.: At.

« PreviousContinue »