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CCXLII

(Tom. II, p. 127-128.)

Je m'en allais un jour par la voie Sacrée, rêvant, selon mon habitude, à je ne sais quels riens, tout entier à cette rêverie; vient à moi un quidam que je connais à peine de nom; il me saisit les mains et me dit : « Comment allezvous, mon très cher ami. -- Bien, pour le moment, lui dis-je, à votre service. » Comme il se mettait à marcher avec moi, je le prévins : « Désirez-vous quelque chose de moi ?>> Mais lui: << Vous me connaissez nous pratiquons tous deux la science. Je ne vous en estimerai que davantage. >> Cherchant à me dégager, tantôt je pressais le pas, tantôt je m'arrêtais et disais je ne sais quoi à l'oreille de mon valet; la sueur me coulait jusqu'aux talons. << Heureux Bolanus ! que ne suis-je aussi brusque que toi! >> pensaisje à part moi tandis que l'importun babillait et vantait la ville et les rues. Cependant je ne lui répondais pas : « Vous désirez bien m'échapper, me dit-il, je le vois depuis longtemps; mais vous perdez votre peine; je vous tiens et je vous accompagnerai jusqu'où vous devez aller. Inutile de faire tant de chemin; je vais voir une personne qui vous est inconnue, un malade qui demeure au delà du Tibre, bien loin, près des jardins de César. - Je n'ai rien à faire et ne crains pas la marche ; je vous suivrai jusqu'au bout.» Je baissai l'oreille comme un âne de mauvaise humeur dont l'échine plie sous un fardeau trop lourd. Et lui de commencer : « Si je me connais bien, ni Viscus, ni Varius, vos amis, ne l'emporteront sur moi dans votre estime qui pourrait écrire en moins de temps plus de vers que moi ? Qui saurait danser avec plus de grâce ? et quand je chante, Hermogène lui-même me porterait envie. » C'était le moment de l'interrompre : « Vous avez une mère,

(4) Le mot cubat, que quelques interprètes traduisent simplement par il couche, il demeure, renferme le sens de maladie: Ovide l'oppose à valet quand il dit, Her., XX, 164: « Hæc cubat, ille valet.

(5) Horace ici se parle à lui-même.

Confice; namque instat fatum mihi triste, Sabella
Quod puero cecinit divina mota anus urna:

Hunc neque dira venena nec hosticus auferet ensis
Nec laterum dolor aut tussis nec tarda podagra;
Garrulus hunc quando consumet cumque: loquaces,
Si sapiat, vitet, simul atque adoleverit ætas. >>
Hor., Sat., 1, 9, v. 1-34.

CCXLIII

Rien de tel que la modération dans l'opulence pour préparer à supporter la médiocrité. Exemple d'Ofellus.

Uterne

Ad casus dubios fidet sibi certius? Hic qui

Pluribus adsuerit mentem corpusque superbum,
An qui contentus parvo metuensque futuri

In pace ut sapiens aptarit idonea bello?

Quo magis his credas, puer hunc ego parvus Ofellum
Integris opibus novi non latius usum

Quam nunc accisis. Videas metato in agello
Cum pecore et gnatis fortem mercede colonum
«Non ego narrantem « temere edi luce profesta
Quicquam præter olus fumosæ cum pede pernæ.
Ac mihi seu longum post tempus venerat hospes,
Sive operum vacuo gratus conviva per imbrem
Vicinus, bene erat non piscibus urbe petitis,
Sed pullo atque hædo. Tunc pensilis uva secundas.
Et nux ornabat mensas cum duplice ficu.
Post hoc ludus erat culpa' potare magistra;
Ac venerata Ceres, ita culmo surgeret alto,

(1) On a proposé un grand nombre de variantes (cuppa, cupa, nulla, pulpa, captu) toutes inadmissibles. La leçon des mss. est culpa, allusion à la punition qu'entraînait toute infraction aux règles des repas et qui consistait à boire en proportion des manquements commis.

des parents qui s'intéressent à vos jours? - Personne, je les ai tous ensevelis - Qu'ils sont heureux! je reste moi; achève, bourreau; voici l'instant fatal que me prédit dans mon enfance une vieille sorcière de la Sabine: << Cet enfant, dit-elle après avoir remué son urne prophétique, ne périra ni par le poison, ni par le fer de l'ennemi, ni par suite de pleurésie, de toux ou de goutte; c'est le bavardage d'un fàcheux qui le tuera. S'il est sage, il évitera, quand il sera grand, tout bavard. >>

CCXLIII

(Tom. II, p. 137.)

Lequel des deux sera le plus assuré contre les coups du sort, de l'homme qui a habitué à toutes sortes de jouissances son corps et son âme exigeante ou de celui qui, content de peu et craignant l'avenir, s'est sagement préparé dans la paix les armes de la guerre? Vous pouvez m'en croire enfant, j'ai connu cet Ofellus qui, maître encore de tout son bien, n'en usait pas plus largement qu'il n'use aujourd'hui du peu auquel on l'a réduit. Vous le voyez maintenant avec ses troupeaux et ses fils devenu courageusement le simple fermier du petit domaine que lui a pris le partage des terres : écoutez-le parler : « Je ne mangeais guère, les jours ouvrables, que des légumes avec un peu de jambon enfumé. Et s'il m'arrivait un hôte que je n'avais pas vu depuis longtemps, ou si, le mauvais temp interrompant mon travail, je recevais un voisin à ma table, je lui faisais fète, non pas avec du poisson acheté à la ville, mais avec une volaille, un chevreau. Le raisin suspendu au plafond, les noix, les figues fendues en deux composaient le dessert. Après, on s'amusait à boire en rachetant régulièrement ses fautes et les libations faites à Cérès pour obtenir d'elle d'abondantes moissons déridaient les fronts. Maintenant que la Fortune sévisse encore, qu'elle nous menace de nouveaux troubles, que peut-elle

Explicuit vino contractæ seria frontis.

Sæviat atque novos moveat Fortuna tumultus:
Quantum hinc imminuet? Quanto aut ego parcius aut vos,
O pueri, nituistis, ut huc novus incola venit?
Nam propriæ telluris herum natura neque illum
Nec me nec quemquam statuit: nos expulit ille;
Illum aut nequities aut vafri inscitia juris,
Postremum expellet certe vivacior heres.
Nunc ager Umbreni sub nomine, nuper Ofelli
Dictus, erit nulli proprius, sed cedet in usum
Nunc mihi, nunc alii. Quocirca vivite fortes
Fortiaque adversis opponite pectora rebus. >>

Hor., Sat., II, 2, v. 107-136.

CCXLIV

L'avare Opimius et son médecin,

Pauper Opimius argenti positi intus et auri,
Qui veientanum festis potare diebus
Campana solitus trulla vappamque profestis,
Quondam lethargo grandi est oppressus, ut heres
Jam circum loculos et claves lætus ovansque
Curreret. Hunc medicus multum celer atque fidelis
Excitat hoc pacto: mensam poni jubet atque
Effundi saccos nummorum, accedere plures

Ad numerandum: hominem sic erigit, addit et illud:

<< Ni tua custodis, avidus jam hæc auferet heres.

Men' vivo?-Ut vivas igitur,vigila. Hoc age.—Quid vis? Deficient inopem venæ te, ni cibus atque

Ingens accedit stomacho fultura ruenti.

Tu cessas? Agedum, sume hoc ptisanarium oryzæ.

- Quanti emptæ? - Parvo. - Quanti ergo? - Octussibus

[- Eheu!

Quid refert, morbo an furtis pereamque rapinis? »

Hor., Sat., II, 3, v. 142-157.

(1) Outre le vers de Lucrèce que j'ai cité dans l'analyse du morceau, cf. Lucilius, 664: « Cum sciam nil esse in vita proprium mortali datum.»

m'enlever? En quoi vous et moi, ô mes enfants, avonsnous pâti depuis qu'est venu ce nouvel habitant? Car, pour ce qui est de la propriété de cette terre, la nature ne l'a donnée ni à lui, ni à moi, ni à personne il nous a chassés; à son tour il sera chassé aussi, fiez-vous à ses vices, à son ignorance des ruses de la chicane, et, dans tous les cas, à son héritier plus vivace que lui. Le champ porte aujourd'hui le nom d'Umbrénus, il portait naguère celui d'Ofellus; il n'appartient en propre à personne et passe en usufruit de main en main, un jour à moi, le lendemain à un autre. Allons donc, mes enfants, soyez hommes, opposez un cœur viril aux coups de la fortune. >>

CCXLIV

(Tom. II, p. 143.)

Vous savez bien Opimius, ce riche si pauvre au milieu de ses amas cachés d'or et d'argent, qui buvait, les jours de fête, du mauvais vin de Véies dans un pot de terre et, les autres jours, de la lie tournée; il lui arriva de tomber en léthargie profonde, si bien que son héritier, joyeux et triomphant, courait déjà aux coffres et aux clefs. Un médecin très avisé et dévoué trouve un moyen de le réveiller : il ordonne d'apporter une table et de vider dessus des sacs d'écus que plusieurs personnes se mettent à compter. 11 fait ainsi revenir notre homme : « Si tu ne veilles sur ton bien, lui dit-il alors, ton héritier s'apprête à l'emporter. Moi vivant? Que Pour vivre, éveille-toi, allons ! faire ? L'épuisement de tes veines va te laisser sans force, si par de la nourriture et quelque soutien nous ne restaurons ton estomac délabré. Qu'hésites-tu? vite, prends cette tisane de riz. Qui coûte? - Peu de chose. -- Mais. encore ? Huit as. Hélas! qu'importe que je meure par la maladie ou par le vol et la rapine?».

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