Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

qui, mesurant, dis-je, tout leur bonheur aux sales plaisirs de leur ventre, à leurs infames débordements, ont renversé toutes les bornes de l'honneur, et détruit parmi nous cette règle, où « les anciens Grecs faisoient consister toute leur « félicité, de ne souffrir point de maître(1). » Par cette foule de métaphores prononcées dans la colère, l'orateur ferme entièrement la bouche à ces traîtres [a]. Néanmoins Aristote [b] et Theophraste, pour excuser l'audace de ces figures, pensent qu'il est bon d'y apporter ces adoucissements : « Pour « ainsi dire, Pour parler ainsi, Si j'ose me servir de « ces termes, Pour m'expliquer un peu plus hardi« ment. » En effet, ajoutent-ils, l'excuse est un remède contre les hardiesses du discours; et je suis bien de leur avis. Mais je soutiens pourtant toujours ce que j'ai déja dit, que le remède le plus naturel contre l'abondance et la hardiesse soit des métaphores, soit des autres figures, c'est de ne les employer qu'à propos, je veux dire dans les grandes passions et dans le sublime; car comme le sublime et le pathétique, par leur violence et leur

(1) De coroná, page 354, édit. de Bâle. ( Despréaux.)

"

[a] « Par cette foule de métaphores, l'orateur décharge « ouvertement sa colère contre ces traîtres. » (éditions de 1674, 1675.)

[b] Voyez la Rhétorique d'Aristote, traduite par Cassandre, 1733, liv. III, chap. VII, page 399.

« canaux, afin que les ruisseaux des veines, sor<< tant du cœur comme de leur source, pussent « couler dans ces étroits conduits du corps hu« main.» Au reste, quand la mort arrive, il dit " que les organes se dénouent comme les cordages «< d'un vaisseau, et qu'ils laissent aller l'ame en li«berté. » Il y en [a] a encore une infinité d'autres ensuite, de la même force; mais ce que nous avons dit suffit pour faire voir combien toutes ces figures sont sublimes d'elles-mêmes; combien, dis-je, les métaphores servent au grand, et de quel usage elles peuvent être dans les endroits pathétiques et dans les descriptions.

Or, que ces figures, ainsi que toutes les autres élégances du discours, portent toujours les choses dans l'excès [b], c'est ce que l'on remarque assez sans que je le dise. Et c'est pourquoi Platon même n'a pas été peu blâmé de ce que souvent, comme par une fureur de discours, il se laisse il se laisse emporter à des métaphores dures et excessives, et à une vaine pompe allégorique. « On ne concevra pas aisé

[a] « .... La particule en...., dit Saint-Marc, ne peut se « rapporter qu'au mot métaphores, lequel est à la troi<< sième ligne de cet alinéa.... Le lecteur françois n'est pas « dans l'habitude de se souvenir de si loin. »

«

[b] Saint-Marc reprend cet endroit, dont il donne la traduction littérale, suivant laquelle les tropes peuvent seulement conduire dans l'excès.

[ocr errors]

« ment, dit-il en un endroit, qu'il en doit [a] être « de même d'une ville comme d'un vase où le vin

[ocr errors]

"

qu'on verse, et qui est d'abord bouillant et fu

rieux, tout d'un coup entrant en société avec «< une autre divinité sobre qui le châtie, devient << doux et bon à boire (1). » D'appeler l'eau une divinité sobre, et de se servir du terme de CHATIER pour TEMPÉRER; en un mot, de s'étudier si fort à ces petites finesses, cela sent, disent-ils [b], son poëte, qui n'est pas lui-même trop sobre. Et c'est peut-être ce qui a donné sujet à Cécilius de décider si hardiment, dans ses commentaires sur Lysias, que Lysias valoit mieux en tout que Platon, poussé par deux sentiments aussi peu raisonnables l'un que l'autre; car, bien qu'il aimât Lysias plus que soi-même, il haïssoit encore plus Platon qu'il n'aimoit Lysias [c]; si bien que, porté de ces deux

[a] « On ne concevra pas.... qu'il en est d'une ville.... » (édit. de 1674, 1675.) En faisant un léger changement dans sa phrase, Despréaux y a laissé deux incorrections. Il faudroit dire : « On ne concevra pas qu'il en doive être ❝ d'une ville comme d'un vase. »

(1) Des lois, liv. VI, page 773, édit. de H. Étienne. (Despréaux.)

[b] Despréaux a voulu mettre : « cela sent, dit-on. >>

[c] Lysias seconda puissamment Thrasybule dans sa noble entreprise, pour délivrer Athènes de la tyrannie des trente. Nous avons un grand nombre de harangues de cet orateur, dont Quintilien compare l'éloquence plutôt à un

mouvements, et par un esprit de contradiction, il a avancé plusieurs choses de ces deux auteurs, qui ne sont pas des décisions si souveraines qu'il s'imagine. De fait, accusant Platon d'être tombé en plusieurs endroits, il parle de l'autre comme d'un auteur achevé et qui n'a point de défauts; ce qui, bien loin d'être vrai, n'a pas même une ombre de vraisemblance. Et en effet [a], où trouverons-nous un écrivain qui ne pèche jamais, et où il n'y ait rien à reprendre?

CHAPITRE XXVII.

Si l'on doit préférer le médiocre parfait au sublime qui a quelques défauts.

Peut-être ne sera-t-il pas hors de propos d'examiner ici cette question en général; savoir, lequel vaut mieux, soit dans la prose, soit dans la poésie,

ruisseau pur et limpide qu'à un fleuve majestueux. C'est chez son père Céphalus que Platon met en scène les interlocuteurs de ses dialogues sur la république. Lysias mourut à quatre-vingts ans, vers l'année 374 avant l'ère vulgaire; l'identité de nom lui a fait attribuer des actions et des ouvrages qui ne lui appartiennent pas.

[a] « Et d'ailleurs, où trouverons-nous.... » ( éditions de 1674, 1675.)

d'un sublime qui a quelques défauts [a], ou d'une médiocrité parfaite et saine en toutes ses parties, qui ne tombe et ne se dément point; et ensuite lequel, à juger équitablement des choses, doit emporter le prix, de deux ouvrages dont l'un a un plus grand nombre de beautés, mais l'autre va plus au grand et au sublime; car ces questions étant naturelles à notre sujet, il faut nécessairement les résoudre. Premièrement donc je tiens pour moi qu'une grandeur au-dessus de l'ordinaire n'a point naturellement la pureté du médiocre. En effet, dans un discours si poli et si limé, il faut craindre la bassesse. Il en est de même du sublime que d'une richesse immense, où l'on ne peut pas prendre garde à tout de si près, et où il faut, malgré qu'on en ait, négliger quelque chose. Au contraire, il est presque impossible pour l'ordinaire qu'un esprit bas et médiocre fasse des fautes: car comme il ne se hasarde et ne s'élève jamais, il demeure toujours en sûreté; au lieu que le grand, de soi-même et par sa propre grandeur, est glissant et dangereux. Je n'ignore pas pourtant ce qu'on me peut objec

་་

[a] « Je citerai, dit La Harpe, cet article de Longin com« me une dernière preuve très péremptoire qu'il ne veut << point parler des traits sublimes, dont l'idée ne suppose « aucun défaut, mais des ouvrages dont le sujet et le ton « appartiennent au genre sublime.» (Cours de littérature, tome Ier,)

« PreviousContinue »