Page images
PDF
EPUB

l'impression qui en a été faite en Hollande [a]. On comprend encore moins quels pouvoient être les rieurs qui ne furent pas favorables à M. Despréaux, dans un point de critique aussi sérieux que celuilà. Car si l'on appelle ainsi les approbateurs de la pensée contraire à la sienne, ils étoient en si petit nombre, qu'on n'en peut pas nommer un seul de ceux qui de ce temps-là étoient à la cour en quelque réputation d'esprit ou de capacité dans les belles-lettres. Plusieurs personnes se souviennent encore que feu M. l'évêque de Meaux, feu M. l'abbé de Saint-Luc, M. de Court, M. de Labrote, à présent évêque de Mirepoix, et plusieurs autres se déclarèrent hautement contre cette pensée, dès le temps que parut la Démonstration évangélique. On sait certainement, et non pas par des ouï-dire, que M. de Meaux et M. l'abbé de Saint-Luc en disoient beaucoup plus que n'en a dit M. Despréaux. Si on vouloit parler des personnes aussi distinguées par leur esprit que par leur naissance, outre le grand prince de Condé et les deux princes de Conti, ses neveux, il seroit aisé d'en nommer plusieurs qui n'approuvoient pas moins cette critique de M. Des

[a] Leclerc fit imprimer cette lettre sous ce titre : Examen du sentiment de Longin sur ce passage de la Genèse : « Et Dieu a dit: Que la lumière soit faite, et la lumière fut faite, » par M. Huet, ancien évéque d'Avranches. (Bibliothèque choisie, tome X, art. III, pp. 211–260, 1706.)

préaux que ses autres ouvrages. Pour les hommes de lettres, ils ont été si peu persuadés que sa censure n'étoit pas soutenable, qu'il n'avoit paru encore aucun ouvrage sérieux pour soutenir l'avis contraire, sinon les additions de M. Le Clerc à la lettre qu'il a publiée sans la participation de l'auteur. Car Grotius [a] et ceux qui ont le mieux écrit de la vérité de la religion chrétienne, les plus savants commentateurs des livres de Moïse, et ceux qui ont traduit ou commenté Longin ont pensé et

[a] Hugues Grotius, né à Delft en 1683, accompagna, dès l'âge de quinze ans, le grand pensionnaire Barneveld dans son ambassade en France. Henri IV le décora d'une chaîne d'or, et dit, en le montrant à sa cour: « Voilà le « miracle de la Hollande. » Il avoit à peine 18 ans, lorsque les états-généraux le nommèrent leur historien. Poursuivi par les ennemis de Barneveld, il fut condamné pour la vie à la prison; mais il parvint à s'échapper en 1621, et se réfugia à Paris, où Louis XIII le prit sous sa protection. Dix ans après, il retourna dans sa patrie, et ne put y demeurer que fort peu de temps. Il revint en France en 1635, revêtu du caractère d'ambassadeur par la reine Christine de Suède. En 1645 il demanda son rappel, et mourut la même année, entièrement dégoûté de la vie des cours. C'est un des hommes les plus étonnants sous le rapport de l'érudition et des travaux littéraires de tout genre. Théologie, jurisprudence, histoire, critique, poésie, etc., rien ne lui fut étranger. Ses œuvres pourroient former dix vol. in-fol. Le livre intitulé Droit de la guerre et de la paix est son premier titre à l'immortalité.

parlé comme M. Despréaux. Tollius [a], qu'on n'accusera pas d'avoir été trop scrupuleux, a réfuté par une note ce qui se trouve sur ce sujet dans la démonstration évangélique; et les Anglois, dans leur dernière édition de Longin[b], ont adopté cette note. Le public n'en a pas jugé autrement depuis tant d'années, et une autorité telle que celle de M. Le Clerc ne le fera pas apparemment changer d'avis. Quand on est loué par des hommes de ce caractère, on doit penser à cette parole de Phocion, lorsqu'il entendit certains applaudissements: « N'ai« je point dit quelque chose mal-à-propos? ›

[ocr errors]

Les raisons solides de M. Despréaux feront assez voir que quoique M. Le Clerc se croie si habile dans

[a] Jacques Tollius, né à Inga, près d'Utrecht, fit paroître en 1694 une édition grecque du Traité du Sublime, la plus complète que l'on ait cue jusqu'alors. Outre la traduction de Despréaux avec ses notes et celles de Dacier, elle contient les remarques de Robortel, de Portus, de Gabriel de Pétra, de Langbaine, de Tannegui - Lefèvre. L'éditeur y a joint les siennes, ainsi qu'une nouvelle traduction latine. On voit, dans sa préface, qu'il avoit eu des relations avec Despréaux à Paris. Il mourut en 1696.

[b] Le travail de Tollius laissoit à desirer, sur-tout pour les jeunes étudiants, une plus grande pureté dans le texte, plus de précision dans la manière de traduire, un choix plus sévère dans les notes. Jean Hudson, né dans le Cumberland, vers 1662, publia en 1710, à Oxford, sans se nommer, une édition du Traité du Sublime, dans laquelle

la critique, qu'il en a osé donner des règles, il n'a pas été plus heureux dans celle qu'il a voulu faire de Longin que dans presque toutes les autres.

C'est aux lecteurs à juger de cette dixième réflexion de M. Despréaux, qui a un préjugé fort avantageux en sa faveur, puisqu'elle appuie l'opinion communément reçue parmi les savants, jusqu'à ce que M. d'Avranches l'eut combattue. Le caractère épiscopal ne donne aucune autorité à la sienne, puisqu'il n'en étoit pas revêtu lorsqu'il la publia [a]. D'autres grands prélats, à qui M. Despréaux a communiqué sa réflexion, ont été entièrement de son avis; et ils lui ont donné de grandes louanges d'avoir soutenu l'honneur et la dignité de l'Écriture sainte contre un homme qui, sans l'aveu de M. d'Avranches, abusoit de son autorité. Enfin, comme il étoit permis à M. Despréaux d'être d'un avis contraire, on ne croit pas que cela fasse plus de tort à sa mémoire, que d'avoir pensé et jugé tout autrement que lui de l'utilité des romans.

il avoit revu le texte avec soin. Il fit usage de la version latine de Tollius, mais en élaguant les expressions superflues, en réduisant les notes auxquelles il en joignit de fort utiles, qui étoient de sa composition. Il mourut en 1719.

[a] La Démonstration évangélique, où Huet publia son opinion, parut en 1679. Ce savant fut nommé en 1685 à l'évêché de Soissons, qu'il permuta pour celui d'Avranches, en 1689.

RÉFLEXION X,

OU

RÉFUTATION

D'UNE DISSERTATION DE M. LE CLERC

CONTRE LONGIN

Ainsi le législateur des juifs, qui n'étoit pas un homme ordinaire, ayant fort bien conçu la puissance et la grandeur de Dieu, l'a exprimée dans toute sa dignité au commencement de ses lois, par ces paroles: Dicu dit: Que la lumière se fasse, et la lumière se fit; que la terre se fasse, et la terre fut faite. (Paroles de Longin, chap. VI.)

il

Lorsque je fis imprimer pour la première fois, y a environ trente-six ans [a], la traduction que j'avois faite du Traité du Sublime de Longin, je crus qu'il seroit bon, pour empêcher qu'on ne se méprît sur ce mot de SUBLIME, de mettre dans ma préface ces mots qui y sont encore, et qui, par la suite du temps, ne s'y sont trouvés sont trouvés que trop nécessaires: « Il faut savoir que par sublime Longin

[a] Despréaux donna sa traduction de Longin en 1674: ce fut donc en 1710 qu'il composa la Xe Réflexion critique, ainsi que les deux réflexions suivantes.

« PreviousContinue »