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RÉFLEXION VIII.

Il n'en est pas ainsi de Pindare [a] et de Sophocle; car au milieu de leur plus grande violence, durant qu'ils tonnent et foudroient, pour ainsi dire, souvent leur ardeur vient [b] à s'éteindre, et ils tombent malheureusement. (Paroles de Longin, chap. XXVII. )

Longin donne ici assez à entendre qu'il avoit trouvé des choses à redire dans Pindare. Et dans quel auteur n'en trouve-t-on point? Mais en même temps il déclare que ces fautes qu'il y a remarquées ne peuvent point être appelées proprement fautes, et que ce ne sont que de petites négligences où Pindare est tombé à cause de cet esprit divin dont il est entraîné, et qu'il n'étoit pas en sa puissance de régler comme il vouloit. C'est ainsi que le plus grand et le plus sévère de tous les critiques grecs parle de Pindare, même en le censurant.

Ce n'est pas là le langage de M. Perrault, homme qui sûrement ne sait point de grec [c]. Selon lui,'Pin

[a] Dans l'édition de 1694, Despréaux n'avoit cité que ces mots: Il n'en est pas ainsi de Pindare, etc. Il ajouta le reste du passage dans l'édition de 1701.

[6] Il y a dans la traduction de Longin par Despréaux : souvent leur ardeur vient mal-à-propos à s'éteindre, » [c] Voici ce que Perrault opposoit à ce reproche, dans la réponse qu'il fit en 1694 à la huitième réflexion. « Peut-être

dare non seulement est plein de véritables fautes, mais c'est un auteur qui n'a aucune beauté; (1) un diseur de galimatias impénétrable, que jamais personne n'a pu comprendre, et dont Horace s'est moqué quand il a dit que c'étoit un poëte inimitable. En un mot, c'est un écrivain sans mérite, qui n'est estimé que d'un certain nombre de savants, qui le lisent sans le concevoir, et qui ne s'attachent qu'à recueillir quelques misérables sentences dont il a semé ses ouvrages [a]. Voilà ce

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sais-je assez de grec pour faire voir à M. Despréaux qu'il « n'en sait guère, et qu'il s'est trompé plus d'une fois dans « ses critiques. Cette grande affectation d'entendre bien le « grec m'est fort suspecte; je ne vois point que ceux qui « savent bien quelque chose en fassent tant de parade; et ❝ on remarque qu'aux réceptions des échevins de l'hôtel-de« ville, il n'y a que ceux qui ne savent point de latin qui « en mettent dans leurs harangues.

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(1) Parallèles, tome I et tome III. (Despréaux.) * Despréaux avoit d'abord mis en note « Parallèles, t. I, p. 235, « et t. III, p. 163, 184. » Il avoit également, dans l'édition de 1694, fait imprimer en caractères italiques tout ce passage, depuis ces mots « un diseur de galimatias impénétra« ble, ........ » jusqu'à ceux-ci « quelques misérables sentences « dont il a semé ses ouvrages. » Sa citation paroissoit copiée sur le texte; elle ne l'étoit pourtant pas. Le sens même n'y étoit pas entièrement respecté. Perrault s'en étant plaint, le critique fit supprimer l'italique, et ne cita plus les pages.

[a] Voici ce qu'il y a dans le parallèle, t. III, p. 163:

qu'il juge à propos d'avancer sans preuve dans le dernier de ses dialogues. Il est vrai que dans un autre de ses [a] dialogues il vient à la preuve devant madame la présidente Morinet, et prétend montrer que le commencement de la première ode de ce grand poëte ne s'entend point. C'est ce qu'il prouve admirablement par la traduction qu'il en a faite; car il faut avouer que si Pindare s'étoit énoncé comme lui, La Serre ni Riche-Source [b] ne l'emporteroient pas sur Pindare pour le galimatias et pour la bassesse.

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«Les savants, en lisant Pindare, passent légèrement sur ce << qu'ils n'entendent pas, et ne s'arrêtent qu'aux beaux traits qu'ils transcrivent dans leurs recueils. » Aussi Perrault ne manque-t-il pas de faire à son adversaire les questions suivantes : « Dire qu'on ne s'arrête qu'aux beaux traits d'un « auteur, est-ce dire qu'on ne s'attache qu'à en recueillir « quelques misérables sentences? Est-ce dire que c'est un « écrivain sans mérite, que c'est un auteur qui n'a aucune « beauté? »

[a] « Dans un autre de ces dialogues, » ( éditions de 1694 et de 1701.)

[b] Jean Sourdier de Riche-Source faisoit des conférences publiques sur l'éloquence aux jeunes gens qui se destinoient à l'église ou au barreau. On raconte que La Serre, après l'avoir entendu, l'embrassa, et lui témoigna sa reconnoissance en ces termes: « Ah! Monsieur, depuis vingt ans j'ai « bien débité du galimatias; mais vous venez d'en dire << plus en une heure, que je n'en ai écrit en toute ma vie." En 1662, Riche-Source fit imprimer l'Idée de la rhétorique

On sera donc assez surpris ici de voir que cette bassesse et ce galimatias appartiennent entièrement à M. Perrault, qui, en traduisant Pindare, n'a entendu ni le grec, ni le latin, ni le françois. C'est ce qu'il est aisé de prouver. Mais pour cela il faut savoir que Pindare vivoit peu de temps après Pythagore, Thales [a] et Anaxagore [b], fameux philosophes naturalistes, et qui avoient enseigné la physique avec un fort grand succès. L'opinion de Thales, qui mettoit l'eau pour le principe des choses, étoit sur-tout célèbre. Empedocle [c] Sicilien,

des prédicateurs. Il est difficile de croire que Fléchier l'ait engagé sérieusement à publier ce livre ridicule, en lui envoyant des vers, dont voici les quatre derniers :

Cette éloquence nonpareille

Qui ton livre fait voir avec tant d'appareil,
Donne aux prédicateurs un secret sans pareil

De gagner les cœurs par l'oreille.

[a] Thalès, de Milet en Ionie, l'un des sept sages de la Grèce, n'a laissé aucun écrit. Les anciens ont seulement conservé quelques unes de ses paroles.

[b] Anaxagore, né à Clazomène 500 ans avant JésusChrist, fut, malgré le crédit de Périclès, réduit à quitter Athènes pour ses opinions sur la nature.

[c] Empedocle tenoit le premier rang dans la république d'Agrigente, sa patrie, par ses talents, sa naissance et ses richesses. On lui offrit le pouvoir suprême qu'il refusa. Il avoit composé plusieurs ouvrages, dont le plus célèbre étoit un poëme sur les éléments. Lucrèce fait un grand éloge d'Empédocle.

qui vivoit du temps de Pindare même, et qui avoit été disciple d'Anaxagore, avoit encore poussé la chose plus loin qu'eux; et non seulement avoit pénétré fort avant dans la connoissance de la nature, mais il avoit fait ce que Lucrèce [a] a fait depuis à son imitation, je veux dire qu'il avoit mis toute la physique en vers. On a perdu son poëme. On sait pourtant que ce poëme commençoit par l'éloge des quatre éléments, et vraisemblablement il n'y avoit pas oublié la formation de l'or et des autres métaux. Cet ouvrage s'étoit rendu si fameux dans la Grèce, qu'il y avoit fait regarder son auteur comme une espèce de divinité.

Pindare, venant donc à composer sa première ode olympique à la louange d'Hiéron, roi de Sicile, qui avoit remporté le prix de la course des che

[a] Nous n'avons presque aucun détail sur la personne de Titus-Lucretius-Carus. L'époque précise de sa naissance ne paroît pas être plus connue que celle de sa mort. On croit qu'il étudia sous Zénon, à Athènes, le système d'Epicure. Son origine lui permettoit d'aspirer aux premières places de la république romaine; mais son amour pour la retraite l'éloigna des affaires publiques, et il ne fut jamais que simple chevalier. Il se tua volontairement à quarante et quelques années, environ cinquante ans avant Jésus-Christ. Ce fut sans doute dans un accès de délire; car on sait qu'il composa, dans les intervalles où il jouissoit de son génie, le poëme sur la nature des choses, dans lequel se trouvent de grandes beautés et de funestes erreurs.

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