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tains animaux, chez les anciens, étoit un de leurs plus délicieux mets; que le SUMEN, c'est-à-dire le ventre de la truie, parmi les Romains, étoit vanté par excellence, et défendu même par une ancienne loi [a] censorienne, comme trop voluptueux. Ces mots, « plein de sang et de graisse, qu'Homère a mis en parlant du ventre des animaux, et qui sont si vrais de cette partie [b] du corps, ont donné occasion à un misérable traducteur qui a mis autrefois l'Odyssée en françois, de se figurer qu'Homère parloit là de boudin, parceque le boudin de pourceau se fait communément avec du sang et de la graisse; et il l'a ainsi sottement rendu dans sa tra

[a] Pline le naturaliste fait mention de lois romaines qui prohiboient, dans les festins, les parties les plus délicates de la truie. Après avoir dit que nul autre animal n'offre plus de ressources aux talents des cuisiniers, il continue en ces termes: «< Hinc censoriarum legum, interdictaque cœnis « abdomina, glandia, testiculi, vulvæ, sincipita verri« na, etc. » Liv. VIII, chap. LXXVII,

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[b] « Jusque-là M. Despréaux a raison, dit madame Da<< cier; mais il s'est trompé évidemment, lorsqu'il a dit que « ces mots plein de sang et de graisse se doivent entendre de « la graisse et du sang qui sont naturellement dans cette " partie du corps de l'animal.... Il se trompe, dis-je; car ces « mots doivent s'entendre de la graisse et du sang dont on « farcissoit cette partie. Cela peut se prouver par toute l'antiquité....." (Remarques sur l'Odyssée, liv. XX, page 139, édition de 1756.)

duction [a]. C'est sur la foi de ce traducteur que quelques ignorants, et M. l'abbé du dialogue, ont cru qu'Homère comparoit Ulysse à un boudin, quoique ni le grec ni le latin n'en disent rien, et que jamais aucun commentateur n'ait fait cette ridicule bévue. Cela montre bien les étranges inconvénients qui arrivent à ceux qui veulent parler d'une langue qu'ils ne savent point.

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RÉFLEXION VII.

Il faut songer au jugement que toute la postérité fera de nos écrits. (Paroles de Longin, chap. XII.)

Il n'y a en effet que l'approbation de la postérité qui puisse établir le vrai mérite des ouvrages. Quelque éclat qu'ait fait un écrivain durant sa vie, quelques éloges qu'il ait reçus, on ne peut pas pour

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[a] Voici la phrase entière de cette traduction publiée en 1619: « Tout ainsi qu'un homme qui fait griller un boudin plein de sang et de graisse, le tourne de tous les côtés sur « le gril, pour le faire cuire; ainsi la fureur et les inquié«tudes le viroient et le tournoient çà et là, etc. » Madame Dacier, Saint-Marc et M. Daunou nomment le traducteur Claude Boitel. Suivant l'abbé Goujet, il se nommoit Claude Boitet, et il étoit avocat au parlement de Paris. La Biographie universelle le fait naître à Orléans en 1570, et lui donne les noms de Claude Boitet de Frauville.

cela infailliblement conclure que ses ouvrages soient excellents. De faux brillants, la nouveauté du style, un tour d'esprit qui étoit à la mode, peuvent les avoir fait valoir; et il arrivera peut-être que dans le siècle suivant on ouvrira les yeux, et que l'on méprisera ce que l'on a admiré. Nous en avons un bel exemple dans Ronsard et dans ses imitateurs, comme du Bellay [a], du Bar

[a] Joachim du Bellay, chanoine de Notre-Dame de Paris, né vers 1524 d'une famille illustre de l'Anjou. Jaloux de la gloire littéraire de son pays, il composa un traité en prose, intitulé: Défense et illustration de la langue françoise, 1549, in-8°. Il y prouve par d'assez bonnes raisons que nous ne devrions écrire qu'en notre langue. Ses poésies, qui lui valurent le surnom d'Ovide françois, furent imprimées en 1568, in-8°. Elles consistent en odes, chansons, imitations du latin; on y remarque sur-tout un grand nombre de sonnets, genre de pièces qu'il accrédita parmi nous. La Harpe n'a pas rendu justice à du Bellay, en le confondant avec les poëtes qui « n'eurent guère que les dé« fauts de Ronsard, sans avoir son mérite. » (Cours de littérature, tome IV, page 175.) Le style de du Bellay est loin d'être hérissé d'autant d'hellénismes et de latinismes que celui de Ronsard. Si ce dernier a plus d'enthousiasme, le premier a plus d'agrément; les vers suivants que du Bellay adresse à Ronsard, caractérisent fort bien ces deux amis: . Ceux qui trop me favorisent

Au pair de tes chansons les miennes autorisent,
Disant, comme tu sais, pour me mettre en avant,

Que l'un est plus facile, et l'autre plus savant.

Du Bellay mourut en 1560, au moment où son parent le

tas [a], Desportes, qui, dans le siècle précédent, ont été l'admiration de tout le monde, et qui aujourd'hui ne trouvent pas même de lecteurs.

La même chose étoit arrivée chez les Romains à Nævius [6], à Livius [c] et à Ennius [d], qui, du

cardinal Jean du Bellay se démettoit en sa faveur de l'archevêché de Bordeaux.

[a] Guillaume de Salluste, seigneur du Bartas, petite terre près d'Auch, naquit vers l'an 1544. Gentilhomme ordinaire de la chambre du roi de Navarre (depuis Henri IV ) il se distingua comme capitaine et comme négociateur. Il chanta la victoire remportée en 1590 à Ivri, et mourut peu de temps après des suites des blessures qu'il y avoit reçues. Dans ses poëmes, aussi longs que nombreux, du Bartas a traité des sujets qui roulent presque tous sur l'histoire sainte. Le principal est la Semaine, c'est-à-dire, la Création du monde en sept journées. On voit qu'il copie la manière de Ronsard; mais il la gâte encore. « Jamais, dit La Harpe, « la barbarie ne fut poussée plus loin. » Ce critique cite pourtant avec éloge quelques vers d'une description du déluge, imitée des Métamorphoses d'Ovide. (Cours de littérature, tome IV, page 118.)

[6] Cneius Nævius, poëte latin né dans la Campanie, mit en vers l'histoire de la première guerre punique, où il avoit servi, et composa diverses pièces dramatiques. Dans ses comédies il n'épargnoit pas les personnages les plus illustres. Scipion l'Africain lui pardonna ce genre d'attaque; mais la famille de Métellus, qu'il avoit également offensée, n'eut pas la même indulgence. Chassé de Rome, Nævius se retira à Utique, où il mourut plus de deux siècles avant Jésus-Christ. On n'a de lui que des fragments. Aulu-Gelle

temps d'Horace, comme nous l'apprenons de ce poëte, trouvoient encore beaucoup de gens qui les admiroient; mais qui à la fin furent entièrement décriés. Et il ne faut point s'imaginer que la chute de ces auteurs, tant les françois que les latins, soit venue de ce que les langues de leur pays ont changé.

nous a conservé l'épitaphe que ce poëte avoit composée pour lui-même.

[c] Livius Andronicus, esclave d'origine grecque, fut affranchi par son maître à cause de ses talents. C'est le plus ancien des poëtes latins. Il donna sa première pièce environ 250 ans avant l'ère vulgaire. Comme il jouoit luimême, les spectateurs charmés de l'entendre lui firent un jour répéter si souvent plusieurs morceaux, qu'il en perdit la voix. On lui permit d'emprunter celle d'un esclave pour déclamer ses rôles, et de se borner à faire les gestes. De là vint l'usage de partager chaque rôle entre deux acteurs. On n'a de ce poëte que les vers cités par les critiques.

[d] Quintus Ennius, né dans la Calabre l'an 240 avant l'ère vulgaire, vécut en Sardaigne jusqu'à l'âge de quarante ans. Il enseigna la langue grecque à Caton l'ancien, qui gouvernoit cette île, et qui l'emmena à Rome. Supérieur aux écrivains de cette époque, il obtint une grande célébrité. Nous avons encore de ce poëte plusieurs morceaux où son génie måle se fait sentir. Il réussit dans plusieurs genres, dans la comédie, l'ode, la satire; mais il dut principalement sa réputation aux annales romaines et aux actions éclatantes de Scipion l'Africain, qu'il écrivit en vers héroïques. Le vainqueur d'Annibal ordonna, par son testament, qu'on éléveroit sur son tombeau la statue d'Ennius; celui-ci survécut dix-huit ans à son héros.

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